Dans le cadre de la semaine du Saint-Laurent, Baleines en direct vous offre un portrait d’espèce personnel à chaque auteur. Un souvenir, des photos, une citation, un récit. Chaque rencontre avec les baleines marque. Aujourd’hui, Béatrice nous présente la baleine noire.
Du Pays basque au Saint-Laurent, plus de 1000 ans d’histoire
Lors de votre prochaine balade sur les rives ou sur les eaux du Saint-Laurent, vous rencontrerez peut-être une baleine noire, ronde, dodue et puissante. Comme celle que l’on a en tête lorsqu’on imagine une baleine, se propulsant dans les airs ou s’alimentant en surface, la gueule grande ouverte. La baleine noire de l’Atlantique Nord partage une longue histoire avec les communautés riveraines. En cette semaine du Saint-Laurent, nous aimerions vous raconter l’histoire de cette fragile cohabitation.
Il y a plus de 1000 ans, la chasse à la baleine noire débute le long des côtes du Pays basque (au nord de l’Espagne et au sud-ouest de la France). À partir du début des années 1500, les Basques chassent également la baleine noire le long des côtes de Terre-Neuve et du Labrador. En Nouvelle-Angleterre, la chasse commence à la fin des années 1600, atteint un sommet au début des années 1700 et se poursuit jusqu’au début des années 1900. Puisqu’elle se déplace lentement, passe beaucoup de temps à s’alimenter en surface, reste près des côtes et flotte lorsque morte grâce à son important pourcentage de graisse, la baleine noire était une proie facile et prisée.
En 1836, le zoologiste et paléontologue français Georges Frédéric Cuvier écrit, dans De l’histoire naturelle des cétacés, « Elles [les baleines noires] ont fui devant l’homme et se sont réfugiées à l’abri des glaces du Groenland et du Spitzberg, dans le détroit de Davis, la baie de Baffin, et sans doute dans toutes les mers qui couvrent le globe au nord du cercle polaire. Elles ne descendent pas plus au midi ; si elles s’y sont montrées dans les temps anciens, comme on a quelques raisons de le croire, on n’en voit point échouer aujourd’hui sur nos côtes [de la France], et la mer n’y en apporte pas même les débris ».
Une trentaine d’années plus tard, cette théorie voulant que les baleines noires aient fui devant l’homme est réfutée. Pierre-Joseph Van Beneden, paléontologue et zoologiste belge, écrit, dans Les baleines et leur distribution géographique (1868), « on croyait que ces animaux [les baleines noires] fuyaient devant l’homme et se réfugiaient dans de nouveaux parages pour se soustraire à sa poursuite. Il a été reconnu depuis que c’est une erreur. Quand ces animaux deviennent plus rares dans une baie ou sur une côte, ce n’est pas qu’ils aillent se réfugier dans de nouvelles régions, comme le prouvent les observations faites sur la côte du Groenland, mais bien que leur nombre diminue ; il en sera peut-être bientôt des baleines, des phoques et des otaries surtout, comme du sirénien, connu sous le nom de Stellère, que la cupidité de l’homme a complètement détruit en quelques années de temps ».
Les chercheurs ont ainsi conscience qu’une chasse excessive menace la survie de l’espèce. Il faut cependant attendre jusqu’en 1935 pour qu’une convention internationale mette fin à cette chasse. Il ne reste alors que quelques centaines d’individus dans la population des baleines noires de l’Atlantique Nord-Ouest. Quant à la population de l’Atlantique Nord-Est, elle semble avoir disparu, comme observé par Cuvier.
Malgré 80 ans de protection, la baleine noire de l’Atlantique Nord-Ouest peine toujours à se rétablir. D’importantes menaces pèsent sur elle, en particulier les prises accidentelles dans les engins de pêche, comme discuté dans une récente actualité sur Baleines en direct. Selon les derniers recensements, il ne reste qu’environ 500 individus.
Quelques dizaines d’individus viennent passer l’été dans le Saint-Laurent et certains reviennent chaque année. Les chercheurs de baleines connaissent chaque individu par le nom qu’ils lui ont donné, le reconnaissant grâce à la disposition des excroissances de peau surmontées de parasites qu’il porte sur sa tête. Ils pourront vous racontez son histoire, unique et palpitante – basée sur des données collectées depuis 1935! – et parfois, malheureusement, sa fin tragique.
C’est notamment le cas de Piper, une femelle connue des chercheurs depuis 1993, la première à avoir eu un émetteur satellite, deux fois prise dans des filets de pêche, ayant donné naissance trois fois et retrouvée morte au large de Percé en 2015. « C’est toujours triste de voir une baleine morte, particulièrement une baleine en voie de disparition, mais c’est positif de savoir que nous pourrons lui donner un deuxième souffle en racontant son histoire au Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM) et ainsi sensibiliser des milliers de gens à l’existence de cet animal fabuleux », témoigne Patrice Corbeil, directeur du CIMM à Tadoussac. Les pectorales et tous les ossements ont été dégagés de leur chair. Les 600 fanons ont tous été nettoyés individuellement. Un travail colossal! Lorsque le nettoyage et le montage du squelette seront complétés, Piper sera ajoutée à la collection déjà unique de squelettes du CIMM. Une exposition à ne pas manquer lors de votre prochain voyage sur la Côte-Nord!
En attendant, voici quelques-unes de nos plus belles photos de baleines noires, nageant, sautant et s’alimentant dans les eaux du Saint-Laurent:
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Sources:
De l’histoire naturelle des cétacés (M. F. Cuvier, 1836)
Les baleines et leur distribution géographique (M. P.-J. Van Beneden, 1868)
The Urban Whale: North Atlantic Right Whales at the Crossroads (S. D. Kraus et R. Rolland, 2007)
Pour en savoir plus:
Sur Baleines en direct
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Béatrice Riché est rédactrice pour le GREMM depuis 2016. Elle détient une maitrise (M. Sc.) en environnement et elle a travaillé plusieurs années à l’étranger sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques. Habitant sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.