Par Maureen Jouglain
Dans cette vidéo prise au cours de l’été 2016 au large du site d’observation terrestre de Pointe-Noire, on aperçoit un béluga au comportement curieux. Pendant plusieurs minutes, il interagit avec un bout de bois, le met sur son dos puis le roule, répétant ce cycle à plusieurs reprises. Est-ce un jeu? Une technique pour se gratter? Ou encore un comportement de béluga endeuillé? Si, à cette heure, l’interprétation de ce comportement relève de la spéculation, plusieurs hypothèses sont proposées.
Curiosité ou jeu?
Les comportements liés au jeu sont largement répandus chez les cétacés. Les grands dauphins sont réputés pour jouer avec des tortues, des méduses et même des objets. Des baleines boréales dans la mer de Beaufort ont été vues en train de manipuler un tronc d’arbre avec leur nageoires pectorales et caudale et d’essayer de le faire tenir en équilibre sur leur dos.
Luc-Alain Giraldeau, chercheur en écologie comportementale à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), précise que le jeu implique presque toujours un patron comportemental établi. «Le comportement de jeu est très semblable à un comportement stéréotypé [se manifestant de la même manière chez les individus de la même espèce], mais ne semble pas aller à son aboutissement ». Par exemple, si deux individus jouent à se battre, il n’y aura pas de blessure. Ici, dans la vidéo, le mouvement observé rappelle celui d’une femelle ramenant son veau en surface pour respirer. Le béluga jouerait-il, d’une certaine façon, à materner? La piste n’est pas écartée.
La distinction entre le jeu et l’exploration de l’objet peut être difficile à faire, d’autant qu’un jeu peut être qualifié d’exploratoire. Où est la frontière? Difficile de se prononcer. Il semblerait toutefois que l’exploration implique une utilisation accrue des sens se traduisant par des gestes comme renifler, gouter, toucher tandis que le jeu est caractérisé par une plus grande implication des activités motrices: manipuler, tirer, pousser. Le béluga est-il simplement curieux ou joue-t-il avec ce bout de bois?
Apprentissage ou compensation?
Loin du simple amusement, les comportements que l’on apparente au jeu peuvent aussi avoir une fonction éducative importante. Dans ses interactions avec l’environnement, le jeune développe ses compétences sociales et cognitives. Prenons pour exemple les épaulards qui ont la mauvaise réputation de jouer avec leurs proies avant de les consommer. Si, en voyant une orque projeter un phoque dans les airs, on pourrait conclure à un jeu cruel, il s’agit le plus souvent de techniques de chasse élaborées se transmettant par apprentissage des adultes aux jeunes. L’interaction du béluga avec ce bout de bois relèverait-elle d’un apprentissage quelconque?
Dans un article publié récemment, nous abordions le deuil chez les odontocètes. On y apprend, entre autres, l’existence de comportements compensatoires suite à la perte d’un congénère. Ainsi, plusieurs espèces ont été observées transportant des objets ou même des corps en décomposition en tant que substitut à leur proche décédé. Ce fut le cas notamment de globicéphales observés à plusieurs reprises, transportant des cadavres de lion de mer. Ce bout de bois pourrait-il servir de substitut à ce béluga?
Les comportements des mammifères sont encore voilés de mystère et teintés par l’interprétation humaine. Ce n’est qu’à force d’observations et d’études à long terme qu’on pourra espérer en apprendre davantage sur ce champ de la biologie encore bien méconnu.
Pour en savoir plus
- Smith, T. G., & Sleno, G. A. (1986). Do white whales, Delphinapterus leucas, carry surrogates in response to early loss of their young?. Canadian journal of zoology, 64(7), 1581-1582.