Le taux de naissance des baleines noires de l’Atlantique Nord avoisine leur taux de mortalité. La population, classée en voie de disparition depuis près de 20 ans, présente peu de signes de rétablissement, mais pourquoi?

Un récent article publié dans The Royal Society met en évidence l’impact dévastateur des empêtrements sur la reproduction des baleines noires. La population de seulement 70 femelles en âge de procréer est confrontée à de multiples défis reproductifs. Les empêtrements, souvent identifiés comme la principale cause de ces incidents, compromettent gravement la santé des baleines noires, réduisant leur énergie disponible pour la gestation et la lactation.

L’étude du cycle de vie des femelles

Sur une période de 41 ans, de 1977 à 2018, un modèle de marquage-recapture a été utilisé pour étudier quatre étapes du cycle de vie des femelles baleines noires de l’Atlantique Nord. Les étapes comprennent les pré-productrices (avant la première mise bas), les reproductrices (celles en année de mise bas), les non-reproductrices expérimentées (femelles matures en période sans mise bas), et les individus morts. Dans l’étude, 199 de ces individus, d’âge connu, ont été suivis lors d’enquêtes annuelles. Parmi eux, plus de 85% ont été empêtrés au moins une fois dans leur vie.

Un peu d’actualité: où en sont-elles?

Durant la dernière saison de naissance, seulement 19 veaux ont été identifiés et cinq sont présumés morts, laissant un total de 14 baleineaux. Selon le National Oceanic and Atmospheric, 50 naissances par année seraient nécessaires afin de percevoir un rétablissement au sein de l’espèce. La cible est donc loin d’être atteinte.

Depuis 2017, on rapporte un nombre élevé de mortalité, de blessures graves ou de maladies sublétales, chez les baleines noires de l’Atlantique Nord.

Comment ce taux élevé d’empêtrements pourrait-il être lié au faible recensement de naissance par année?

Un problème de GRANDE taille!

Une étude collaborative faite sur 129 baleines noires de l’Atlantique Nord a noté une diminution de la taille moyenne des individus depuis les années 1980. La taille moyenne aurait diminué d’environ 7% entre 1981 et 2019. Certaines âgées de 10 ans aujourd’hui ont la taille de jeunes baleines d’un ou deux ans d’il y a 40 ans. Les scientifiques ont conclu que les empêtrements sont une des sources principales de ce phénomène. Une femelle empêtrée perd de ses facultés, entre autres dans la quantité et la qualité de la production du lait pour les petits, alors que la lactation est une phase cruciale dans la croissance des baleineaux. Notamment, la réduction de taille la plus importante se trouvait chez les baleines qui ont subi un empêtrement dont leur mère était empêtrée lors de l’allaitement.

L’étude a révélé que cette décroissance réduit la fécondité. Les femelles plus petites ont un rendement reproductif plus faible puisque leurs intervalles de naissances seront plus longs que les individus de grande taille. Il a été observé que de nombreuses femelles n’avaient pas suffisamment de graisse pour mener une reproduction réussie, retardant ainsi leur capacité reproductive.

Les femelles de grande taille ont tendance à mettre bas à des veaux de plus grande taille, ce qui souligne l’importance d’atteindre une taille significative avant la reproduction. La taille joue un rôle crucial dans la durée et l’efficacité de la lactation, ainsi que dans la masse du veau au sevrage et le coût énergétique pour la mère d’élever une progéniture de cette taille.

De plus, la maturité sexuelle sera tardive chez les petites femelles, qui possèdent alors moins de réserves énergétiques à investir dans la gestation et l’allaitement. Pour compenser, elles passent l’hiver dans les zones d’alimentation afin d’accumuler des réserves de graisse pour soutenir leur reproduction future. Ce comportement est souvent appelé “migration partielle avec interruption de la reproduction”, car elles ne migrent pas lors des années non reproductives.

Un cycle de vie dérangé

Lorsqu’une baleine noire parvient à survivre à un empêtrement, c’est certes une lueur d’espoir, mais les conséquences ne doivent pas être sous-estimées. Les effets de ces incidents vont bien au-delà de l’événement lui-même, et ils sont particulièrement prononcés dans le domaine de la reproduction.

Une fois qu’elles atteignent la maturité sexuelle, les femelles consacrent continuellement de l’énergie à la reproduction. Pendant la gestation, une grande partie de l’énergie est investie dans le maintien de la chaleur nécessaire à la gestation, dans la croissance du fœtus et dans le placenta. Ce coût énergétique augmente progressivement au cours des 12 mois de gestation, culminant dans les 4 derniers mois où le fœtus connaît une croissance exponentielle.

Dès leur arrivée dans les eaux froides et productives, les mères s’alimentent, tout en allaitant leurs veaux. Pendant cette période d’allaitement de 10 à 12 mois, le baleineau prend beaucoup de poids. En un peu plus d’un an, celui-ci peut gagner jusqu’à 910 kg, doublant son poids de naissance. La mère quant à elle perd de sa condition physique, puisqu’elle jeûne durant les premiers mois suite à la naissance. Elle peut perdre presque un tiers de son poids corporel. Plusieurs années sont nécessaires pour qu’elle reprenne assez de graisse afin de se reproduire à nouveau.

Les changements climatiques affectent la disponibilité et la qualité de la nourriture. Les empêtrements produisent du stress, diminuant la capacité des baleines à s’alimenter, à se développer et à se reproduire. Lorsqu’une baleine noire survit à un empêtrement, l’énergie dépensée pendant l’accident et la convalescence est considérable. Par conséquent, les intervalles entre les périodes de reproduction sont plus longs, les femelles doivent récupérer leur énergie et leur santé. Leur capacité reproductive et leur succès diminuent après un tel évènement. Dans les populations de baleines noires en bonne santé, le cycle de reproduction est généralement de 3 à 4 ans. Ces dernières années, les intervalles entre les naissances ont dépassé 7 ans, parfois allant même jusqu’à 10 ans!

D’après des recherches sur les baleines noires parvenues à maturité sexuelle, celles qui ont été gravement empêtrées présentent la probabilité la plus faible de se reproduire ensuite. Les individus ayant subi un empêtrement modéré ont moins de chances de se reproduire que ceux n’ayant subi aucun empêtrement. Même celles ayant survécu à un empêtrement mineur ont 47% de chances en moins de se reproduire que ceux n’en ayant subi aucun.

Certaines baleines noires sont en phase de non-reproduction en raison du stress sublétal causé par l’empêtrement, une expérience courante pour 85% des individus de la population De plus, la diminution de leur taille rend la maturité sexuelle plus tardive, tandis que la rareté croissante et la qualité réduite de la nourriture due aux changements climatiques compliquent l’obtention des ressources énergétiques nécessaires. La nécessité pour les mères allaitantes de rester avec leur veau pour assurer sa survie souligne l’impact critique de la perte d’une mère sur la survie des baleineaux.

Relever des défis grâce à la conservation

Les défis auxquels font face les baleines noires de l’Atlantique Nord, tels que l’empêtrement dans les engins de pêche et les impacts du changement climatique sur leur alimentation, nécessitent des actions de conservation renforcées. En améliorant la gestion des pêches, en intensifiant la recherche sur la nutrition et en sensibilisant le public, nous pouvons œuvrer ensemble pour assurer la survie de ces espèces emblématiques face aux pressions croissantes de notre environnement marin.

Les baleines en questions - 9/7/2024

Romy-Lena Bouchard-Babin

Romy-Lena Bouchard-Babin est rédactrice pour baleine en direct et naturaliste au GREMM pour la saison estivale de 2024. Son amour et sa curiosité pour la nature, combinés à sa passion pour la lecture et la communication, la poussent à constamment chercher à apprendre et à partager ses connaissances. Attirée vers les sports en nature, elle a compris jeune l’importance de la conservation de la biodiversité et entreprend aujourd’hui un baccalauréat par cumul en écologie marine.

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