Chaque année, les baleines du Saint-Laurent parcourent des milliers de kilomètres entre le Québec et leurs aires d’hivernage. Un rorqual à bosse peut ainsi parcourir jusqu’à 5500 kilomètres pour atteindre ses aires de reproduction dans les Caraïbes après s’est goinfré dans nos eaux tout l’été. Mais qu’est-ce qui pousse les baleines à braver les mers ainsi ? Voilà une question qui fascine depuis longtemps aussi bien le grand public que le monde de la recherche. Plusieurs études se sont penchées sur le phénomène et trois principales conclusions en ressortent. Selon les espèces, les baleines migreraient pour des raisons liées à la reproduction, à l’alimentation ou bien, plus étonnamment, à leur mue.
À l’abri et au chaud
Une des explications derrière les migrations de baleines est en lien avec la naissance et la croissance des petits. Un baleineau fait face à plus de défis et de menaces qu’un individu mature dans son habitat naturel. Par exemple, les petits de plusieurs espèces de cétacés naissent avec une couche de gras beaucoup plus mince que celle d’un adulte. Il leur est plus difficile d’effectuer une thermorégulation efficace et donc de survivre dans les inhospitalières régions de hautes latitudes. C’est d’ailleurs pourquoi les rorquals à bosse du Saint-Laurent mettent bas dans la chaleur des Caraïbes plutôt que dans les eaux glaciales du Québec.
En plus d’offrir un environnement favorable à leurs petits, les femelles cherchent aussi à assurer leur sureté. Un veau est particulièrement vulnérable aux attaques de prédateurs, tels que les épaulards ou certaines espèces de requins. C’est pourquoi certains cétacés, comme la baleine grise, vont plutôt migrer vers des refuges, certes chauds, mais surtout sécuritaires.
À la poursuite des meilleurs buffets en ville
Une autre raison motivant la migration des baleines est la disponibilité des ressources alimentaires, qui varie en fonction des saisons. Pendant la période estivale, plusieurs espèces s’aventurent vers des latitudes plus élevées en quête d’aires d’alimentation riches en nourriture. Avec l’arrivée de la saison froide, les proies se raréfient dans ces régions et les baleines redescendent donc vers de plus basses latitudes. Le cycle se répète ainsi chaque année.
Cependant, si une aire estivale répond inadéquatement aux besoins nutritifs des baleines qui la fréquentent, certains individus pourraient s’abstenir de migrer. Ce grand voyage annuel est très exigeant et demande une excellente préparation. En cas de manque de proies, les réserves énergétiques de certains individus pourraient être insuffisantes pour entreprendre le périple. Le suivi des baleines qui « sautent » une migration pourrait potentiellement servir d’indicateur de santé écosystémique, particulièrement dans le cas des rorquals à bosse.
Migrer… ou pas!
Eh oui! Les habitudes migratoires varient entre chaque espèce de cétacés et même au sein d’une même espèce. Par exemple, chez les cachalots, les périodes et les patrons de migration sont relativement irréguliers, et seuls les mâles y prennent part. Chez les rorquals à bosse, un jeune mâle pourrait « décider » de ne pas migrer, non pas par manque de réserves énergétiques, mais parce qu’il aurait peu de chances de s’accoupler dans les aires hivernales, en concurrence avec des individus plus âgés. Autre exemple, certains rorquals communs du Pacifique n’auraient pas toujours besoin de migrer: les eaux californiennes demeurent habituellement assez fournies pour répondre à leurs besoins toute l’année.
Un traitement exfoliant
De récentes études ont révélé une motivation jusqu’alors insoupçonné pouvant expliquer la migration des baleines : la mue. Certaines espèces de cétacés — telles que les épaulards, les rorquals à bosse et les baleines grises — muent lorsqu’elles rejoignent des régions chaudes et tropicales après s’être alimentées dans des eaux froides pendant une partie de l’année.
Ce phénomène serait expliqué par le même mécanisme permettant aux baleines de conserver leur température corporelle. Dans le climat froid des pôles, la circulation sanguine est réduite dans les couches de peau les plus extérieures, ce qui permet de limiter les pertes de chaleur. Les cellules de la peau tombent en dormance et arrêtent de se renouveler. La mue s’en retrouve donc altérée. Une fois les baleines arrivées dans leurs aires hivernales, les eaux chaudes permettent au métabolisme des cellules de peau de se raviver, et la mue peut à nouveau avoir lieu. En plus de se débarrasser de leur peau morte, ce traitement exfoliant leur permettrait aussi de se défaire des colonies de diatomées, des algues microscopiques, s’accumulant sur leur peau au fil du temps.
Cette découverte récente, rendue notamment possible grâce à l’utilisation de drones et de satellite, nous prouve encore une fois que, en ce qui concerne les baleines, on en apprend chaque année davantage. Si autrefois on imaginait les allers et venues des cétacés dans l’océan comme un métronome rythmé par les besoins alimentaires et reproducteurs, on réalise que la réalité pourrait être bien plus subtile.