Dans une vidéo captée par drones par les chercheurs de la Station de recherche des iles Mingan (MICS), des dizaines de petites silhouettes blanches se détachent sur le fond bleu de la mer. Est-ce un troupeau de bélugas?
En portant attention, on remarque pourtant que ces individus semblent plus rapides et actifs que les bélugas. C’est parce qu’il s’agit de phoques du Groenland! Ils nagent sur le dos, révélant ainsi la blancheur de leur ventre. Si on voit à l’occasion d’autres espèces de phoques effectuer des rotations ou flotter sur leur dos, seul le phoque du Groenland adopterait cette position de façon récurrente. Sert-elle un but précis? Les scientifiques ne peuvent encore répondre à cette question avec clarté.
La tête à l’envers
«Ce qui est certain, affirme Mike Hammill, chercheur chez Pêches et Océans Canada et spécialiste des phoques, c’est que la nage sur le dos lui donne un meilleur point de vue sur ce qui se passe en dessous d’eux.» Dans cette position, le phoque du Groenland immerge complètement sa tête. Ses yeux, situés sur le dessus de sa tête, sont ainsi tournés vers les profondeurs plutôt que vers le ciel.
Et voir dans un monde marin sombre et opaque n’est pas un problème pour lui, puisqu’il possède une vision adaptée à ce milieu. Sous l’eau, ses pupilles se dilatent au maximum afin de capter le plus de lumière possible. Ses yeux sont aussi munis de photorécepteurs sensibles aux pigments noirs, blancs ou gris, plus présents sous l’eau. De ce fait, il voit probablement beaucoup mieux dans la mer que sur la terre! Mais que surveille-t-il, exactement?
Scruter pour surveiller
Tout dépend de la saison. En hiver, de la fin février à la mi-mars, le phoque du Groenland est en période de reproduction, dans le Saint-Laurent. Comme plusieurs autres espèces de phoques, il s’accouple dans l’eau. Il est donc particulièrement vulnérable et doit rester à l’affut de toute activité qui pourrait lui nuire (dérangement, menaces) ou bien l’avantager (nourriture). La femelle ne pouvant donner naissance qu’à un seul petit par année, son succès reproducteur est particulièrement important.
L’été, le phoque du Groenland rejoint les eaux de l’Arctique canadien ou du Groenland. Dans ces territoires, la surveillance du monde marin est encore plus de mise que dans le Saint-Laurent en raison de certains prédateurs qui y rôdent : l’épaulard, le requin ou même le morse selon les endroits. «La plupart de ces prédateurs pourraient surgir des profondeurs, donc surveiller ce qu’il y a en dessous est plus important que surveiller ce qui se passe au-dessus», croit Mike Hammill. Cependant, le chercheur constate que sa nage sur le dos pourrait potentiellement nuire au phoque du Groenland face à un prédateur terrestre tel que l’ours blanc, qui surgit plutôt de la banquise.
Il faudra étudier plus en profondeur ce comportement afin de comprendre ce qui pousse le phoque du Groenland à surveiller les fonds marins, ou comment cette position affecte sa nage. Certainement, cette particularité rend le phoque plus facile à distinguer des autres espèces de pinnipèdes qui fréquentent l’estuaire du Saint-Laurent. Ou parfois plus facile à confondre avec le béluga vu du ciel!