Le Japon a annoncé la semaine dernière avoir extrait avec succès du zinc, de l’or, du cuivre et du plomb des fonds marins le long de la côte d’Okinawa. Plusieurs autres pays et compagnies privées se préparent également à l’exploitation des ressources minières sous-marines. L’exploration se fait à un rythme effréné. Plus d’une vingtaine de permis d’exploration en eaux internationales ont été attribués jusqu’à maintenant, un premier navire a récemment été construit par la Chine pour l’exploitation des grands fonds et des engins pour fragmenter et aspirer les roches à plus d’un kilomètre de profondeur sont déjà prêts. Les biologistes et les associations environnementales s’inquiètent, s’indignent et se questionnent. Quels seront les effets de cette nouvelle « ruée vers l’or » sur les écosystèmes des grands fonds — qui sont très variés et dont nous ne connaissons encore que très peu de choses — ainsi que sur l’environnement mondial?

Pourquoi cet engouement relativement récent?

Les gisements sous-marins, connus depuis les années 1970, n’avaient pas été considérablement exploités jusqu’à maintenant, en raison de l’effondrement du marché des métaux dans les années 1980 et 1990, des défis techniques et de l’absence de règles environnementales claires concernant leur exploitation en haute mer.

Ces dernières années, la croissance de la demande en métaux, particulièrement ceux dits de haute technologie — qui servent par exemple à la fabrication de téléphones cellulaires et de panneaux solaires — et la crainte d’une pénurie imminente de ces métaux relancent l’intérêt des minières pour l’exploitation des gisements sous-marins.

Quelles sont les réserves minérales océaniques? Leur exploitation sera-t-elle rentable? Rien n’est encore certain.

Normes environnementales

L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM ou ISA, pour International Seabed Authority), l’agence des Nations unies qui règlemente l’exploitation des fonds marins dans les eaux internationales, prépare actuellement un cadre règlementaire pour l’exploitation minière, comprenant des mesures de protection de l’environnement, qui devrait être approuvé d’ici 2020.

L’AIFM est également responsable de délivrer les titres miniers. Depuis 2001, 28 permis d’exploration minière ont été attribués à des pays et à des contractants commerciaux, couvrant une superficie totale de plus d’un million de kilomètres carrés — presque la superficie de la province de Québec — dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien.

La Commission juridique et technique de l’AIFM, composée de 30 experts en exploitation minière, en sciences et en droit, examine les demandes de permis et s’assure du respect des normes environnementales. Les délibérations de la Commission sont, pour la plupart, confidentielles. Personne, à part ces trente experts, ne sait donc ce que les compagnies minières ont découvert sous l’océan ni les résultats des études d’impacts environnementaux. Certains groupes environnementaux s’indignent qu’une trentaine de personnes puissent prendre, à huis clos, des décisions concernant un territoire qui représente la moitié de la superficie de la planète et demandent à ce que les délibérations soient rendues publiques.

Personne, à part ces trente experts, ne sait donc ce que les compagnies minières ont découvert sous l’océan ni les résultats des études d’impacts environnementaux.

Effets potentiels sur la vie marine

Nous ne connaissons presque rien de la biodiversité des plaines abyssales — où l’on retrouve les nodules polymétalliques recherchés par les minières — et des dépôts de sulfures hydrothermaux, créés par les geysers sous-marins et également riches en métaux. Toutefois, nous savons que la résilience de ces écosystèmes est faible. Dans les grands fonds, les espèces indigènes sont souvent lentes à recoloniser les habitats perturbés. Une étude publiée dans Scientific Reports en 2016 révèle que des traces laissées il y a 37 ans par des machines dans la zone de Clarion-Clipperton, la zone la plus dense en nodules au monde, située dans le Pacifique entre le Mexique et Hawaii, sont encore très visibles et que la faune y est 70 % moins abondante que dans les sites intouchés.

Nautilus Minerals, une entreprise minière canadienne, affirmait récemment aux habitants de Nouvelle-Irlande, en Papouasie–Nouvelle-Guinée, que l’exploitation minière sous-marine qui devrait débuter dans la région dans 18 mois n’aurait aucun impact sur la vie marine. L’exploitation minière des grands fonds peut-elle se faire sans perte nette de biodiversité? Dans une lettre publiée en juillet dernier dans la revue Nature Geoscience, quinze experts des grands fonds, juristes et économistes affirment que non. « Une grande partie de la perte de biodiversité découlant des activités minières dans les grands fonds sera probablement permanente, sur une échelle de temps humaine, vu le rétablissement naturel très lent des écosystèmes touchés. Il incombe à l’Autorité internationale des fonds marins de communiquer au public les conséquences potentiellement graves de cette perte de biodiversité et de demander une réponse », recommandent-ils.

Les scientifiques ignorent quelle sera l’ampleur des dégâts causés par l’exploitation minière sous-marine. Cette activité soulèvera des sédiments qui, possiblement, contamineront la colonne d’eau et voyageront sur de longues distances. Des déchets miniers seront rejetés dans l’océan. Le bruit des engins sous-marins et des bateaux miniers s’ajoutera à celui déjà produit par les activités humaines. Quels seront les effets d’une mine, de deux mines, de vingt mines sur les écosystèmes pélagiques et le reste de l’océan? Comment l’habitat des baleines, ces grandes voyageuses, sera-t-il modifié? En l’absence de réponses à toutes ces questions, l’AIMF sera-t-elle en mesure de mettre en place, d’ici 2020, une règlementation minière qui protège efficacement la biodiversité locale et mondiale?

Actualité - 10/10/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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