Bien que le phoque gris se nourrisse majoritairement de poissons et de crustacés, il semble aussi chasser et s’alimenter parfois de phoques communs, de marsouins communs, et même de membres de sa propre espèce! Dans cet article, Baleines en direct tente de vulgariser les faits et les hypothèses pouvant expliquer ces comportements.
Cannibalisme ou infanticide?
En 2018, sur l’ile de Heligoland au large de l’Allemagne, un mâle phoque gris attaque un juvénile de sa propre espèce. Il s’alimente de sa proie pendant plus d’une heure. Le chercheur Abbo van Neer de l’université de médecine vétérinaire de Hanovre réalise une nécropsie complète pour bien étudier les lésions. Il établit un modèle de lésions causés par les phoques gris. Ce modèle est utilisé pour comparer avec d’autres données sur des carcasses répertoriées depuis 1990 dans le but d’identifier d’autres cas de cannibalisme. Van Neer pense pouvoir associer d’autres carcasses à des cas de cannibalisme alors qu’elles avaient été auparavant attribuées à des attaques de requins ou des collisions avec des hélices.
Un premier cas de cannibalisme au Canada a d’ailleurs été étudié en 1992 en Nouvelle-Écosse. Les scientifiques étudiaient à ce moment les comportements de reproduction du phoque gris lorsqu’un mâle s’est mis à se nourrir d’un chiot de sa propre espèce. La carcasse a été retrouvée quelques heures plus tard, vidée des muscles et de la graisse entre le cou et les nageoires postérieures. Quelques jours plus tard, une seconde carcasse portant des lésions semblables est retrouvée sur le rivage. Les chercheurs ont tenté de comprendre les causes de ce comportement, mais en vain. À ce jour, il ne semble pas y avoir d’observations de cannibalisme dans l’estuaire du Saint-Laurent.
Au banc des accusés : Halichoerus grypus
La prédation des phoques gris sur des phoques communs et des marsouins communs n’est pas rare. Une étude sur les carcasses de marsouins communs retrouvées dans la mer du Nord près de l’Allemagne révèle que 17% des individus seraient morts à la suite d’une attaque par un phoque gris. Les lésions et la présence d’ADN de phoque gris sur les carcasses permettent de déduire les causes de mortalité. Quel est l’impact de la prédation sur la population de marsouins touchés? Évidemment, le petit cétacé pourrait se voir forcer de s’adapter à la forte prédation. L’étude évoque aussi la possibilité que le marsouin commun modifie son régime alimentaire pour être plus léger et donc plus rapide pour échapper au phoque gris. Cependant, cette adaptation peut entraîner une maigreur extrême, une autre cause importante de mortalité chez cette espèce.
Dans la même région, le phoque gris effectue de la prédation également sur le phoque commun. Un article publié dans Journal of Sea Research fait état de plusieurs cas suspectés de prédation du phoque gris sur le phoque commun. En 2013, les scientifiques ont pu observer un mâle phoque gris chasser et se nourrir d’un phoque commun juvénile. L’étude des lésions sur plusieurs autres carcasses de phoques communs trouvées en 2013 et 2014 laisse croire qu’il s’agit également d’autres cas de prédation.
Ces cas concordent avec les observations anecdotiques dans le Saint-Laurent qui ont été rapportées. Quelques personnes ont observé des phoques gris s’attaquer à des marsouins communs et à des phoques communs cet été.
Coupable, non coupable
Quelles raisons poussent le phoque gris à s’attaquer aux autres mammifères marins? Difficile de s’entendre.
D’abord, d’un point de vue énergétique, il est plus efficace pour les phoques gris de se nourrir d’un mammifère marin que de se nourrir de poissons. Le chercheur Van Neer explique que pour obtenir une même quantité de calories, le phoque gris peut consommer 28 grammes de graisse de phoque ou 100 grammes de poisson. Les mammifères marins comme le marsouin commun, le phoque commun, ou même le phoque gris représentent donc des proies plus nourrissantes.
Cependant, le biologiste marin Andrew Trites de l’Université de la Colombie-Britannique n’est pas du même avis. Selon lui, il s’agit plutôt d’individus problématiques. Il explique que même chez ces animaux on retrouve différentes personnalités et comportements, et que la faim seule pousserait difficilement un individu vers le cannibalisme. « S’il existait une police des phoques, ce spécimen serait aujourd’hui derrière les barreaux. » (Andrew Trites, dans National Geographic).
En général, les études concluent que les restes de carcasses portent à croire qu’il s’agit bien de prédation et que le phoque s’en nourrit effectivement. Il faut cependant noter que ce sont des cas particuliers et que ce ne sont pas des comportements généralisés chez tous les individus.