Lors d’une entrevue avec Michel Lebeuf, chercheur à l’Institut Maurice-Lamontagne, Baleines en direct lui a posé la question suivante: Y a-t-il de nouveaux composés chimiques qui polluent le Saint-Laurent marin et est-ce inquiétant pour le béluga?
M. L. : Il est reconnu que le Saint-Laurent marin, plus particulièrement l’estuaire du Saint-Laurent, est un secteur propice à l’accumulation de nombreux contaminants, tant dans les sédiments que dans les organismes. Contrairement à ce que l’on croyait, cette portion du Saint-Laurent ne représente pas un grand bassin de dilution des polluants. Les conditions océanographiques qui y prévalent, comme la pulsation des marées, le gradient de salinité et le changement brusque des profondeurs, favorisent plutôt la rétention et la décantation des eaux fluviales et des contaminants qu’elles transportent. D’ailleurs, le béluga du Saint-Laurent témoigne de ce fait : cette espèce se situe au sommet de l’échelle des espèces contaminées par les contaminants organiques persistants tels les BPC et les DDT.
Malgré les mesures prises au cours des années 1970 et 1980 pour freiner l’accroissement des niveaux des ces composés dans le béluga, on n’a depuis observé qu’une faible diminution de sa contamination par les composés organiques persistants. Au cours de la gestation, par l’intermédiaire du placenta, et dès sa naissance, par l’intermédiaire du lait maternel, le béluga accumule déjà d’importantes quantités de contaminants. Puis, au cours de sa vie d’adulte, il consomme des organismes marins qui sont eux aussi déjà contaminés. En somme, la présence de contaminants organiques persistants dans l’habitat du béluga résulte en une accumulation importante chez le béluga, et ce pour longtemps.
Au Canada, l’utilisation de nouveaux produits chimiques persistants est de plus en plus limitée, voire proscrite. Il existe cependant un certain nombre de produits chimiques persistants, homologués depuis longtemps, qui sont toujours en utilisation. En général, lorsque la production de ces composés est faible, les problèmes environnementaux sont limités. Il existe cependant des exceptions de produits qui ont vu leur demande et leur production drastiquement augmentées au fil des ans. C’est le cas des organobromés, comme les PBDE.
Mais il y a beaucoup plus que les composés persistants qui risquent d’affecter le béluga du Saint-Laurent ; d’autres composés qui ne s’accumulent pas en permanence peuvent également affecter sa santé. Les pesticides étendus à petite et grande échelles sur les cultures sont généralement très peu persistants dans le milieu et dans les organismes vivants, mais très toxiques. On peut également penser aux nombreux produits pharmaceutiques, couramment utilisés dans notre société moderne, qui se retrouvent dans le milieu aquatique et dont les effets peuvent être perturbants pour les organismes qui y vivent. De plus, certains composés sont vraisemblablement métabolisés par le béluga, notamment le benzo-a-pyrène, puis rapidement transformés par l’animal. Ainsi, l’activation des mécanismes de défense du béluga pour éliminer ces composés représenterait une dépense énergétique importante réduisant l’efficacité de son système immunitaire à se défendre contre certains agents pathogènes. Actuellement, le seul programme de suivi de la contamination dans l’environnement du béluga du Saint-Laurent en cours cible certains métaux et composés organiques persistants, notamment dans le gras de béluga, pour lesquels des normes environnementales canadiennes sont déjà en place.
Pour en savoir plus: Michel Lebeuf