Par Eliza-Jane Morin, agente en gestion des ressources, Parcs Canada
Durant les mois d’été, l’équipe de conservation de Parcs Canada au parc marin du Saguenay—Saint-Laurent est occupée à réaliser des travaux de terrain, tant pour notre programme de surveillance de la viabilité écologique que pour des projets de recherche avec différents collaborateurs.
En ce 28 août, la matinée commence comme les autres. J’arrive au bureau vers 8 h 00 et je regarde l’horaire opérationnel de la journée. Je vois que mon collègue Pierre-Alexandre et moi avons été chargés de faire de l’échantillonnage de sédiments dans l’estuaire moyen. Je suis tout de suite excitée, car c’est un de mes projets préférés ! Ce projet de recherche est réalisé en collaboration avec Dre Tanya Brown, chercheuse scientifique au ministère des Pêches et Océans et Dr Antoine Simond, chercheur scientifique postdoctoral à l’Université Simon Fraser. L’objectif principal de ce projet est de caractériser les contaminants présents dans les sédiments de l’habitat essentiel du béluga de l’estuaire du Saint-Laurent, une espèce en voie de disparition.
Les bélugas ont un régime alimentaire varié, composé entre autres de poissons de fond comme la morue et le merlu, ainsi que d’invertébrés, comme les gastéropodes et les polychètes. Pour consommer certaines de leurs proies, les bélugas aspirent près des fonds marins. Cette méthode d’alimentation peut exposer les bélugas à des contaminants accumulés dans la couche supérieure des sédiments. Un exemple de contaminant qui entraînait auparavant des conséquences négatives importantes sur les bélugas sont les polyhydroxyalcanoates ou HAP. L’exposition à des niveaux élevés d’HAP, un déchet des alumineries, a été associée au taux élevé de cancer observé chez les bélugas dans les années 1960 et 1970. Bien que l’exposition aux HAP ait considérablement diminué depuis que le gouvernement du Québec a interdit le rejet des déchets des alumineries dans la rivière Saguenay, d’autres contaminants émergents pourraient avoir des effets négatifs sur le rétablissement des bélugas. Pour cette raison, il est important de surveiller et de caractériser continuellement les contaminants présents dans leur habitat.
Avant de partir, je vérifie la météo de la journée afin de confirmer que le vent n’est pas trop fort pour l’échantillonnage. Environnement et Changement climatique Canada prévoit un temps couvert, avec un vent d’ouest de 5 nœuds (9 km/h); des conditions parfaites pour réaliser ce type de travail. Une fois nos sacs de terrain prêts et le camion chargé de notre équipement, nous nous dirigeons vers la marina pour rejoindre Simon, le capitaine de notre navire de recherche L’Alliance, qui effectue les derniers contrôles de sécurité avant notre sortie.
Le site d’échantillonnage est près des îles Pèlerins, qui se trouvent en amont de Rivière-du-Loup. Environ une heure et demie après avoir quitté la marina de Tadoussac, nous arrivons sur place. L’eau est calme et les nombreuses îles qui caractérisent l’estuaire moyen se profilent au loin. Pendant que je commence à remplir la fiche technique en notant la météo, les coordonnées précises du prélèvement et la profondeur de l’eau, Pierre-Alexandre prépare la benne Ponar à l’arrière du bateau. Une benne Ponar est un type d’échantillonneur benthique utilisé pour prélever des échantillons de sédiments de surface.
Une fois la benne attachée à notre treuil, nous commençons à la descendre dans l’eau, derrière le bateau. La profondeur totale à cet endroit est d’environ 65 mètres. Nous continuons à descendre la benne jusqu’à ce qu’elle touche le fond marin. La partie délicate de ce protocole d’échantillonnage est que le courant dans l’estuaire peut être très fort, ce qui rend difficile l’impact direct sur le fond marin. Pour que la benne prélève son échantillon, toute la tension de la corde qui abaisse l’échantillonneur doit être relâchée, afin que le mécanisme d’échantillonnage puisse être déclenché. Nous approchons des 65 mètres et soudainement, la corde du treuil se détend et je sais que nous avons touché le fond. J’attends environ 10 secondes avant de commencer à remonter la benne à la surface.
Il y a toujours un moment d’anticipation avant que la benne remonte à la surface. On ne sait jamais à quoi s’attendre. Les mécanismes se sont-ils bien déclenchés ? Y’aura-t-il des sédiments dans la benne ou juste de l’eau et des roches ? J’observe attentivement la surface de l’eau pendant que je remonte la benne à la surface avec le treuil. Soudain, je vois l’éclat métallique de la benne, elle semble s’être correctement fermée ! Je continue de relever la benne pour que Pierre-Alexandre puisse la guider sur le pont arrière du bateau. Nous ouvrons doucement la benne pour vérifier les sédiments capturés à l’intérieur. À notre grande surprise, nous voyons des anémones qui ont été capturées avec l’échantillon de sédiments !
e que j’aime le plus dans cette méthode d’échantillonnage, c’est que nous ne savons jamais quelles surprises se cacheront dans nos échantillons de sédiments. Pour l’instant, nous avons pêché un concombre de mer, des pétoncles, des crabes, des étoiles de mer, un lançon et un chaboisseau ! On adore découvrir les nombreuses merveilles de l’estuaire du Saint-Laurent. Nous retirons délicatement les anémones pour les remettre à l’eau et nous récupérons les sédiments. Nous répéterons ce processus quelques fois pour avoir suffisamment de sédiments pour remplir nos pots. Au deuxième largage, nous avons moins de chance, la benne s’est mal fermée à cause d’une grosse roche et aucun sédiment n’a été récupéré. On réessaye. Simon stabilise le bateau et on renvoie la benne au fond. Au troisième et quatrième essai, nous avons réussi à collecter suffisamment de sédiments pour remplir nos neuf pots d’échantillons. Les échantillons seront congelés à -20 °C et expédiés en Colombie-Britannique, où ils seront analysés pour détecter la présence d’HAP, de PCB, de métaux lourds et de microplastiques, pour n’en nommer que quelques-uns.
Autrice : Eliza-Jane Morin, Agente gestion des ressources
Eliza est titulaire d’un baccalauréat en biologie marine à Dalhousie University à Halifax et d’une maîtrise en gestion des ressources naturelles à Akureyri University en Islande, avec une spécialisation dans les ressources côtières et marines. Ses recherches à la maîtrise ont porté sur les impacts des pratiques de récolte du duvet d’eider sur les sternes arctiques en Islande. Elle travaille dans le domaine de la conservation depuis 6 ans, particulièrement avec l’avifaune et dans la conservation marine. Son travail l’a amené de l’Amazonie péruvienne à l’Atlantique Nord-Est en Islande, mais aussi dans l’ouest canadien et en Ontario. Elle a rejoint l’équipe de conservation de Parcs Canada au parc marin du Saguenay–Saint-Laurent en juin 2021. Elle participe, entre autres, à la caractérisation des contaminants dans l’habitat des bélugas, au suivi des phoques communs dans le fjord du Saguenay et au suivi hivernal du garrot d’Islande dans l’estuaire du Saint-Laurent.