Saviez-vous que chez certaines espèces terrestres, comme le babouin, les infanticides peuvent provoquer jusqu’à 70% de la mortalité infantile? Mais qu’en est-il des animaux peuplant les eaux?
Il importe d’abord de mentionner que l’infanticide n’a pas été répertorié chez toutes les espèces de baleines. Il s’agit en fait d’un comportement assez rarement observé chez elles, mais des preuves de son existence ont été documentées, notamment chez trois espèces de dauphins ainsi que dans une population d’épaulards.
Chez les dauphins
Des études ont démontré que l’infanticide se pratiquait chez trois espèces de dauphins : le grand dauphin (Tursiops truncatus), le dauphin à bosse du Pacifique (Sousa chinensis) et le dauphin de Guyane (Sotalia guianensis). Chez la première espèce, des nouveau-nés et des juvéniles ont été retrouvés morts dans l’est et l’ouest de l’Atlantique Nord. Tous présentaient des cicatrices suggérant qu’ils avaient été tués par des congénères. Des scénarios similaires ont été répertoriés chez les deux autres espèces, mais dans leur habitat respectif, soit l’ouest du Pacifique Nord pour le dauphin à bosse et l’Atlantique Sud pour le dauphin de Guyane. Tous ces cas confirment que la pratique de l’infanticide est bien ancrée chez certaines espèces de dauphins.
Les dauphins, majoritairement les mâles, sont reconnus pour adopter des comportements agressifs envers les femelles. Des groupes de mâles vont souvent isoler une femelle, la séquestrer pendant plusieurs heures, voire des jours, et la violenter pour pouvoir la féconder à répétition. Des dauphins mâles ont aussi déjà été aperçus en train de tenter de se reproduire avec leur mère, comportement qu’on pourrait qualifier d’« incestueux » – d’un point de vue humain évidemment!
Un cas particulier chez les épaulards
Le seul cas d’infanticide rapporté chez les épaulards s’est produit en 2016 en eaux britanno-colombiennes du Pacifique Nord. Lors d’une sortie terrain, des spécialistes du comportement des épaulards ont rapidement réalisé qu’ils observaient une interaction entre deux groupes familiaux bien distincts. Le premier était une famille de quelques individus dont un nouveau-né de quelques jours. Le deuxième représentait deux individus : un mâle de 32 ans et sa mère, n’ayant aucun lien de parenté avec l’autre groupe. Après avoir entendu du brouhaha, les scientifiques ont aperçu le mâle de 32 ans sous leur bateau, le nouveau-né manifestement inerte dans sa gueule. Une poursuite entre la mère du nouveau-né du premier groupe et le mâle tueur du deuxième s’ensuivit, mais en vain. Dans ce que les chercheurs et chercheuses ont qualifié de « travail d’équipe », la mère du mâle de 32 ans semblait l’aider en manœuvrant pour repousser la mère du petit et l’empêcher de poursuivre le tueur.
Selon Jared Towers, biologiste marin à Pêches et Océans Canada, cette aide mère-fils n’est pas si surprenante. D’abord, parce qu’il n’est pas rare que les épaulards mâles passent l’entièreté de leur vie accompagnés de leur mère, partageant proies et savoirs. Ensuite, parce que les mères veulent favoriser les opportunités d’accouplement de leur progéniture mâle, avantageant ainsi leurs propres gènes. Les scientifiques ont déclaré que rien n’indiquait que le mâle et sa mère avaient démembré ou consommé le nouveau-né après l’avoir tué. Ils ont donc suggéré que ce comportement en était un de sélection sexuelle, dans la mesure où le mâle adulte a possiblement tué le baleineau dans l’espoir que la femelle redevienne fertile rapidement.
Towers est d’avis que c’est un événement remarquable puisque les comportements agressifs entre épaulards sont très peu fréquents. Les experts et expertes croient que cette découverte pourrait avoir des répercussions substantielles sur la manière dont ils comprennent la structure sociale, le comportement et la physiologie des épaulards. Considérant que les scientifiques ne peuvent être omniprésents dans les océans, il est important de mentionner que malgré que ce soit le seul cas rapporté, ça ne signifie pas que c’est un événement sans précédent.
Chez les bélugas
Aucun cas d’infanticide n’a été observé par les chercheurs et chercheuses dans le monde des bélugas. Le directeur du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins, Robert Michaud, a néanmoins constaté de curieux comportements pouvant peut-être s’y rapprocher. À plusieurs reprises, les spécialistes du GREMM ont pu observer des groupes de mâles isolant un nouveau-né – un veau – de sa mère pour le « maltraiter ». Selon M. Michaud, le comportement n’est pas particulièrement violent, mais il est étonnant. Ces événements ne se sont jamais terminés tragiquement. Pas de mort ni de veau blessé.
Qu’en est-il des mammifères terrestres?
Élise Huchard, chercheuse au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS, Montpellier), a passé au peigne fin 30 ans d’études visant une liste de 260 mammifères terrestres. De ceux-ci, 119 pratiqueraient l’infanticide. Les lions et les babouins sont hauts dans la liste : ils sont bien reconnus pour leur propension à tuer les petits des autres. La chercheuse affirme que ce comportement funeste est motivé par le désir d’augmenter son fitness, soit la capacité d’un individu à se reproduire. En effet, en tuant les petits d’un autre groupe ou d’une autre famille, le mâle dominant peut contrôler la provenance des juvéniles qui seront à sa charge. Mme Huchard explique qu’ « il maximise ainsi ses chances d’assurer une descendance. »
En terminant, plusieurs hypothèses ont été émises pour tenter d’expliquer l’infanticide. Mentionnons celle du cannibalisme, appelé aussi prédation, qui se produirait plutôt dans les populations en situation de pénurie de nourriture. Le cannibalisme semble toutefois être un bénéfice secondaire de certains infanticides, qui s’expliquent mieux par l’hypothèse de la sélection sexuelle (tuer le petit pour rendre la femelle fertile plus rapidement). La science fait aussi mention de l’élimination de la concurrence potentielle, donc de la concurrence pour les ressources, ou encore de l’élimination de jeunes en mauvaise santé ou qui pourraient représenter un fardeau. Afin de s’adapter à ce comportement destructeur, les femelles ont développé une technique judicieuse : multiplier les partenaires sexuels afin que le mâle potentiel ne sache pas si le petit qu’il va tuer est le sien ou non!