Tout comme les baleines à bosse, les baleines à dents – odontocètes-, et particulièrement les dauphins, se démarquent par leurs comportements altruistes. Toutefois, la nature de ces comportements diffère. Alors que les baleines à bosse intimident et repoussent leurs prédateurs, les baleines à dents vont plutôt offrir de l’aide aux individus malades, blessés ou morts.
Des patients qui s’entraident
Aux Pays-Bas, un centre de réadaptation pour odontocètes a ouvert ses portes en 1991, au sein d’un delphinarium. Des chercheurs ont étudié les archives du centre plusieurs années plus tard et ont publié un article de leurs découvertes en 2022. En analysant les comportements des animaux documentés par le personnel, les scientifiques ont découvert que trois femelles juvéniles dauphins à nez blanc auraient manifesté de l’altruisme envers deux mâles d’une espèce différente, des marsouins communs!
La première observation dépeint un dauphin à nez blanc qui guide tranquillement un mâle adulte marsouin commun vers une aire de traitement vétérinaire et d’alimentation. Les deux animaux étaient arrivés au centre la même journée, très amaigris. Le dauphin a commencé ce comportement après avoir observé les employés guider le marsouin à l’aide d’un filet pendant quelques jours. Celui-ci n’a reçu aucun entrainement ou récompense pour sa coopération. Cette participation volontaire du dauphin a permis aux employés de cesser cette tâche. Selon les chercheurs, ce comportement peut être qualifié d’altruisme, puisqu’il a probablement causé moins de stress que l’implication humaine. Ce serait aussi de la collaboration mutuellement bénéfique : le dauphin bénéficiait d’une diminution de perturbation dans son environnement et les employés avaient moins de travail !
La deuxième observation implique des marsouins juvéniles, malades et émaciés, qui sont arrivés au centre la même journée et ont été placés dans la piscine de deux dauphins. Moins d’une heure après l’arrivée du premier marsouin, les dauphins se sont placés de part et d’autre de celui-ci. Les trois animaux nageaient, plongeaient et respiraient en synchronie. Plus tard, lorsque le deuxième marsouin est arrivé dans cette même piscine, chaque dauphin s’est jumelé à un marsouin et a entrepris de nager du côté gauche de celui-ci, entre le marsouin et le mur de la piscine. Chaque paire a repris une nage en synchronie.
En agissant ainsi, les dauphins facilitaient la nage des marsouins en favorisant l’hydrodynamisme, et évitaient aux marsouins de se blesser sur les murs de la piscine. Voilà un bel exemple d’un comportement épimélétique, soit d’offrir de l’aide aux individus malades, blessés ou morts !
Altruisme et évolution
Les théories de la sélection de parenté ou de la réciprocité peuvent-elles expliquer ces comportements chez les dauphins à nez blanc ? Si c’était le cas, deux questions se posent. Les femelles dauphins auraient-elles confondu les marsouins avec des delphineaux de leur espèce ? Auraient-elles pu croire qu’ils étaient leurs propres petits ?
L’hypothèse principale est que les dauphins ont associé les marsouins avec des delphineaux, en raison de leur taille similaire. Chez certains dauphins, dont le grand dauphin et le dauphin à flancs blancs de l’Atlantique, des femelles prodiguant des soins maternels à des delphineaux qui ne sont pas les leurs, et même à ceux d’autres espèces, ont déjà été observées. De plus, des chercheurs ayant été témoins de comportements violents de grands dauphins envers des marsouins communs avaient également émis cette hypothèse, cette fois pour proposer des comportements d’infanticide. Toutefois, dans le cas présenté, une telle erreur aurait été surprenante. En raison de leur âge, ces femelles juvéniles dauphin à nez blanc avaient vraisemblablement peu de chance d’avoir déjà donné naissance. Ces deux espèces utilisent également des signaux acoustiques différents, ce qui diminue les risques de confusion ! Ce comportement épimélétique d’apparence altruiste pourrait aussi découler d’un besoin instinctif des femelles de prendre soin des marsouins.
Une autre hypothèse écarte l’altruisme pour suggérer de la sociabilité. La nage, la plongée et la respiration en synchronie auraient pu être un signe de coopération entre les individus, pour apporter du réconfort dans un contexte de captivité. Chez les dauphins, ce type de comportement serait utilisé pour gérer le stress et les tensions sociales, favoriser la défense contre les prédateurs et la communication ainsi que tisser des liens sociaux. De ce fait, un comportement dont bénéficient les deux individus ne serait pas altruiste et dans ce cas aurait plutôt une fonction sociale. Les chercheurs ignorent si la nage en synchronie d’un marsouin et d’un dauphin remplirait également cette fonction. Contrairement aux dauphins, seules les paires mère-veau de marsouins nagent en synchronie. Les auteurs supposent que si la sociabilité était l’objectif, les deux dauphins auraient simplement continué de nager ensemble, sans égard pour les marsouins, à moins que l’inclusion de ceux-ci augmente le réconfort ressenti par les dauphins. Les auteurs favorisent donc l’hypothèse d’un comportement altruiste des dauphins envers les marsouins. Il est toutefois difficile de déterminer l’influence que la captivité aurait pu avoir sur les comportements de ces animaux.
Outre les théories de la sélection de parenté et de la réciprocité, existe-t-il d’autres explications, telle la compassion, qui pourraient expliquer des comportements altruistes chez les animaux ?
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