Il est difficile de déterminer avec certitude du caractère altruiste d’un comportement chez les animaux. On peut difficilement connaître leur motif! Toutefois, des chercheurs ont bel et bien documenté ce qui apparait comme des manifestations d’altruisme chez les cétacés. La recherche nous ouvre une porte sur un aspect du monde des baleines encore peu connu, mais tellement fascinant!
Les rorquals à bosse sous les projecteurs
Un article écrit par plusieurs collaborateurs et publié dans la revue Marine Mammal Science analyse plus d’une centaine d’interactions entre des rorquals à bosse et des épaulards ayant eu lieu entre 1951 et 2012. Des rorquals à bosse ont été observés à de nombreuses reprises affichant des comportements d’intimidation et même d’attaque envers des épaulards! Ces comportements d’intimidation, aussi appelés harcèlement du prédateur, ont été répertoriés chez plusieurs espèces animales. Ils consistent en l’approche, le harcèlement ou l’attaque du prédateur par l’espèce qui est normalement une proie. De plus, celle-ci lance souvent des cris pour alerter ses congénères.
Dans le cas des rorquals à bosse, la majorité de ces interactions ont eu lieu avec des épaulards dont la diète se compose de mammifères marins, contrairement à ceux qui se nourrissent exclusivement de poissons. Qui plus est, la plupart du temps, ce sont les rorquals à bosse qui ont approché les épaulards alors que ces derniers étaient occupés à chasser ou à se nourrir. Plus de la moitié de ces approches ont été accompagnées de comportements d’intimidation envers ces prédateurs.
Fait surprenant, les rorquals à bosse n’interviennent pas seulement lorsqu’un de leurs congénères est la cible de l’attaque d’épaulards, mais aussi quand d’autres espèces sont en danger. Les chercheurs croient que ces cétacés réagissent aux cris d’attaque des épaulards et qu’ils ignorent à quelle espèce leur proie appartient. Toutefois, les rorquals à bosse continuent de harceler les épaulards même lorsqu’ils s’aperçoivent que leur proie n’est pas de leur espèce. Dans leur article, les auteurs mentionnent une dizaine d’espèces qui ont bénéficié des comportements d’intimidation des rorquals à bosse, soit une espèce de poisson, six espèces de pinnipèdes et trois espèces de cétacés. Lorsque ce sont les épaulards qui vont à la rencontre des rorquals à bosse, ils s’en prennent seulement aux baleineaux.
Mais qu’est-ce que l’altruisme?
Le dictionnaire Larousse définit l’altruisme comme étant la capacité à se soucier du bien d’autrui de façon désintéressée. Dans Le Robert, l’altruisme est décrit comme étant le contraire de l’égoïsme, soit la «disposition à s’intéresser et à se dévouer à autrui». Par exemple, l’accomplissement d’un acte d’entraide sans rien attendre en retour, ça, c’est de l’altruisme!
L’altruisme chez une espèce autre que l’Homo sapiens se définit-il de la même façon? En biologie, la théorie de l’évolution nous apprend qu’il est question d’altruisme quand le comportement d’un individu lui est potentiellement coûteux, mais qu’il engendre un bénéfice pour un autre individu. Le coût est l’impact négatif de ce comportement sur le succès reproducteur, soit sur la capacité de cet individu à produire des descendants qui pourront ensuite se reproduire à leur tour. L’individu altruiste peut ainsi diminuer ses chances de transmettre son matériel génétique à la génération suivante. À l’opposé, l’individu qui bénéficie de l’acte altruiste pourrait voir son succès reproducteur augmenter!
Qui plus est, l’altruisme est considéré comme un acte conscient chez l’humain, alors qu’il ne l’est pas nécessairement chez les autres espèces qui en font preuve.
L’altruisme, rare ou commun?
Fait plutôt surprenant, plusieurs espèces font preuve d’altruisme! Les ouvrières de certaines espèces d’insectes, telles les fourmis et les abeilles, sont stériles et se consacrent à la reine et sa progéniture. Celles-ci ont pour rôle de s’occuper des larves, d’aller à la recherche de nourriture et de prendre soin du nid. Le cas de ces ouvrières est un exemple extrême d’altruisme puisque la reine produira toute la progéniture alors que celles-ci n’en auront aucune. Une autre espèce faisant preuve d’altruisme est la chauve-souris vampire. Ces animaux ne peuvent pas survivre beaucoup plus de deux jours sans se nourrir de sang. Toutefois, chaque nuit, des membres du groupe reviennent bredouilles, car ils n’ont rien trouvé à se mettre sous la dent. Cela ne signifie pas que ces malchanceux mourront de faim puisque les individus ayant réussi à s’alimenter peuvent régurgiter une petite quantité de sang afin de la partager avec eux.
L’altruisme est aussi illustré par les individus de certaines espèces d’oiseaux qui aident un couple à élever ses petits. Les oiseaux aidants dépensent de l’énergie en contribuant à nourrir les petits, et se rendent plus vulnérables en avertissant les parents de la présence d’un prédateur dans les parages. De même, les vervets (une espèce de singes) qui ont aperçu un prédateur produisent des cris pour avertir leurs congénères, ce qui augmente leurs risques de se faire repérer. Tous ces exemples mettent de l’avant des actes qui diminuent le succès reproducteur de celui qui donne, pour bénéficier à l’individu qui reçoit!
Altruisme et évolution
Pour les rorquals à bosse, ces comportements d’intimidation envers les épaulards sont couteux. La distance parcourue pour rejoindre les orques est parfois grande, et la durée de l’interaction peut être importante, allant jusqu’à plusieurs heures. Ils doivent cesser leur activité, tels le repos, la socialisation ou l’alimentation, pour intervenir. Leur réponse résolue demande aussi beaucoup d’énergie. Alors, pourquoi le font-ils ?
Bien entendu, la science met de l’avant différentes théories pouvant expliquer l’évolution des comportements altruistes chez les animaux. C’est le cas de la théorie de la sélection de parenté, où un individu viendrait en aide exclusivement à des individus qui lui sont apparentés, et qui ont donc une génétique semblable à la sienne. Il augmente ainsi les chances que son proche parent transmette son matériel génétique à la génération suivante. Quant à la réciprocité, on la retrouve chez les espèces qui vivent en unités sociales stables. Un individu qui aide son congénère peut ainsi s’attendre à recevoir de l’aide en retour dans le futur. Ces deux théories pourraient expliquer que des rorquals à bosse viennent à la rescousse de leurs congénères.
Toutefois, lorsqu’il est question d’interactions d’aide entre des espèces différentes, ces deux théories ne tiennent pas la route. Est-ce que les rorquals à bosse agissent ainsi par habitude, puisqu’ils le font d’emblée pour les leurs ? Certains auteurs qualifient ce phénomène de « débordement », soit d’un comportement qui est commun entre des membres d’une même espèce et qui s’étend vers des espèces différentes. Cet altruisme pourrait donc être non intentionnel. Alternativement, serait-ce possible que ce comportement découle d’un sentiment de compassion ? Selon les chercheurs, c’est une question qui devra faire l’attention de recherches plus poussées!
Pour l’instant, il sera possible d’explorer d’autres comportements s’apparentant à de l’altruisme chez les cétacés dans le prochain article!