Le retour de Tic Tac Toe
Il est nécessaire de débuter ce carnet de terrain par un voyage dans le passé en septembre 1999. Une de mes premières sorties sur l’eau au large de Tadoussac.
Je venais d’arriver dans la région depuis quelques semaines. Nous étions deux sur un petit zodiac et nous nous dirigions vers l’ile Rouge, située au beau milieu du fleuve, entre la rive nord et la rive sud du Saint-Laurent.
Soudain, un petit souffle attire notre attention. Nous comprenons vite que c’est un rorqual à bosse, un jeune vu sa taille. Je peux prendre une photo de la queue – nous emploierons désormais le terme caudale – avec mon vieil appareil argentique juste avant que ce rorqual à bosse sonde vers les profondeurs.
C’est la première rencontre de ma vie avec un rorqual à bosse. Je suis ébloui, les larmes aux yeux devant tant de beauté. Comme un déclic, un instant qui marquera à jamais le reste de mon existence. Je décide alors, au milieu du Saint-Laurent par cette belle journée d’automne, de tout faire pour passer le plus clair du reste de ma vie sur l’eau et près des mammifères marins. Ce rorqual à bosse, nous apprendrons plus tard qu’il est âgé d’environ 2 ans. Un grand «x» est dessiné sur le lobe droit de sa caudale. Une marque alors grise qui noircira avec l’âge et sera son signe distinctif le plus évident.
Les patrons de coloration sur la caudale des rorquals à bosse sont comme leurs empreintes digitales. Ils sont différents pour chaque individu et c’est ainsi que nous pouvons les reconnaitre, les différencier.
Tic Tac Toe, voilà le nom donné à ce rorqual à bosse à cause de ce X sur la caudale, comme le nom du jeu de stratégie. Les scientifiques nous apprennent que Tic Tac Toe est né l’hiver 1996-1997. Ce rorqual à bosse a été aperçu pour la première fois dans le golfe du Saint-Laurent à l’automne 1997 par l’équipe de la Station de recherche des iles Mingan (MICS). Et pratiquement chaque été, jusqu’à aujourd’hui, il vient nous visiter dans l’estuaire du Saint-Laurent.
L’émotion me gagne chaque année quand Tic Tac Toe revient en Haute-Côte-Nord. Avec à chaque fois le souvenir de cette rencontre initiale. Il faut souligner qu’avant 1999, date de ma première rencontre avec cet individu, les rorquals à bosse étaient très rares dans notre secteur. Nous avions bien ce mâle Siam qui faisait quelques courtes visites depuis 1981, mais Tic Tac Toe est la grande vedette de l’estuaire. C’est le début de la «colonisation» progressive du secteur par cette espèce; qui culmine en 2021 avec plus de 110 individus observés!
Mais ce n’est pas tout… Oui Tic Tac Toe revient presque chaque été, mais parfois, il ne revient pas seul. Ou plutôt elle ne revient pas seule… Il faut parler d’elle au féminin à partir de maintenant! En effet, nous ne mettrons pas longtemps à comprendre que H509 -c’est son numéro d’identification donné par les scientifiques – est une femelle puisqu’elle va revenir souvent dans notre secteur avec… un baleineau! Le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) suit aussi de près les visites de la femelle dans l’estuaire.
En 2007, elle voyage avec un baleineau qui sera nommé Aramis. Tic Tac Toe sera donc le premier rorqual à bosse à amener un baleineau dans l’estuaire. En 2012, un autre baleineau est à ses côtés: H797. En 2017, encore un autre: H855. Un autre baleineau en 2020 et en 2021, nous allons l’observer avec un cinquième baleineau, à moins que ce soit un jeune adopté, l’avenir nous le dira peut-être. Tic Tac Toe est même grand-mère puisque son premier baleineau, Aramis a également mis bas! Et en 2022, encore un baleineau à ses côtés!
Elle est devenue l’ambassadrice des rorquals à bosse. Et les larmes aux yeux sont toujours là quand je la vois arriver chaque printemps chez nous.
Alors, imaginez ma joie quand une amie qui est en zodiac me signale la présence de Tic Tac Toe un peu à l’ouest des Escoumins le 11 mai 2023. Je me dirige vers ce secteur. Depuis le rivage, je la vois. Je l’observe, je l’admire et je peux prendre quelques photos. Photos de loin, qu’importe, le bonheur est le même.
Le lendemain, elle n’était plus dans le secteur. Nous espérons la revoir cette saison 2023 et les prochaines années. Encore et encore. Pour très longtemps…
Renaud Pintiaux
Assistant de recherche au GREMM de 2003 à 2009 et de 2012 à 2014, Renaud Pintiaux est un observateur et un photographe passionné. Hiver comme été, de la rive ou en bateau, il saisit toutes les occasions de rencontrer les mammifères marins et les oiseaux du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent.
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