Vendredi après-midi, 18 aout. Michel Starr du ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO) fait part à l’équipe du Centre d’appels d’une situation inquiétante observée plus tôt par ses collègues. De nombreuses nappes d’algues rouges sont présentes en surface, en concentration visiblement élevée, dans le secteur de Saint-Fabien sur la rive sud de l’estuaire et dans l’embouchure du Saguenay près de Tadoussac jusqu’à L’Anse-de-Roche dans le fiord du Saguenay.
S’agit-il d’une floraison de l’algue toxique Alexandrium tamarense, qui a causé l’épisode de marée rouge en 2008, ou est-ce l’algue Scrippsiella trochoidea, elle non toxique? C’est ce que Michel Starr devait statuer rapidement.
D’abord, il vérifie auprès du Centre d’appels d’Urgences Mammifères Marins si un nombre de mortalités inhabituel a été enregistré dans les derniers jours. Rien à signaler d’anormal au 1-877-7baleine. Les effets de l’algue Alexandrium tamarense pourraient toutefois se faire sentir sur la faune seulement au bout de quelques jours; l’algue produit des neurotoxines paralysantes qui peuvent affecter tous les maillons de la chaine alimentaire, du poisson au mammifère marin.
En peu de temps, des partenaires d’Urgences Mammifères Marins établissent un protocole temporaire et restent alertes à tout signalement rapporté au centre d’appels.
Affairé à son microscope, M. Starr observe attentivement les algues filamenteuses, appelées « dinoflagellés », qui composent les nappes brunes rouille. Heureusement, par son allure très caractéristique, Scrippsiella trochoidea est vite reconnue. Soulagement! Cette algue n’est pas toxique, sauf pour certaines larves de mollusques, si elle se trouve en concentration très élevée (de l’ordre de millions de cellules par litre d’eau), situation moins inquiétante pour les mammifères marins.
Qui est Scripssiella trochoidea ?
Lorsqu’elle est repérable sous forme de nappes rouges, l’algue Scripssiella trochoidea est enkystée. Quand les conditions environnementales changent et deviennent défavorables, les algues développent des stratégies pour assurer leur survie. Elles fabriquent des spores, ou des kystes de résistance, véritables coffres-forts qui leur permettent d’attendre le retour des conditions favorables. Les facteurs favorisant la formation de nuages de kystes, ou marées rouges, sont une température chaude, une eau de surface calme et un milieu pauvre en éléments nutritifs. Elles flottent donc en surface sous forme de kyste à l’aide d’un mucus qu’elles produisent, pour ensuite se déposer dans les sédiments. De la mousse est d’ailleurs souvent visible en présence de Scripssiella trochoidea, en mer ou même sur les plages.
Autre bonne nouvelle : le chercheur n’observe pas, au travers des kystes de Scripssiella trochoidea, la présence d’Alexandrium tamarense. À l’inverse de Scripssiella, la rareté de sels nutritifs est pour Alexandrium une condition favorable à sa prolifération. Les deux algues auraient donc pu se succéder dans l’environnement, une autre crainte qui s’est finalement dissipée.
Les jours suivant la découverte des nappes rouges, le vent a soufflé et a ainsi dissipé les concentrations d’algues, ce qui a d’autant plus rassuré les chercheurs. Cet événement (ou plutôt ce non-événement) rappelle l’importance d’avoir un réseau de partenaires alertes et attentifs à tout changement dans l’environnement.