Vendredi 2 juin, fin d’avant-midi, le téléphone sonne. C’est le Réseau Québécois d’Urgence pour les Mammifères Marins (RQUMM) qui me contacte pour une intervention à titre de bénévole. Ils ont reçu un signalement de la part de touristes qui ont vu un jeune phoque dans le secteur du quai de Ragueneau, sur la Côte-Nord. La personne responsable d’assurer le suivi du cas me mentionne que le phoque présente du lanugo. Ce seul mot m’a suffi pour comprendre qu’il était question d’un individu né depuis peu… On me demande de me rendre sur place pour prendre des photos et des vidéos. Elles seront acheminées au vétérinaire qui pourra mieux évaluer la situation. Également, je dois répondre aux questionnements et sensibiliser les gens qui pourraient se présenter, tout en assurant un périmètre de sécurité pour éviter le dérangement du petit.

Par Andréanne Sylvain, bénévole RQUMM

J’attrape rapidement mon sac prêt pour une intervention (le temps de se sentir comme Dora l’instant d’une seconde!) et de quoi manger, car je ne sais pas combien de temps je resterai là-bas. La prochaine fois, je prendrai le temps de m’apporter aussi des vêtements un peu plus chauds! Près de trente minutes me séparent de la destination. En route!

Arrivée sur place, les touristes avaient déjà quitté. Je tente de localiser le phoque tout en parlant au téléphone avec la personne responsable du cas à UMM. J’essaie de savoir un peu mieux à quel endroit il est pour ne pas arriver directement dessus. Je progresse doucement. Et soudain, il est tout juste là, sur un rocher, directement dans la descente de kayak. Je rebrousse chemin le plus discrètement que je peux, malgré toute l’émotion d’une si grande proximité non souhaitée. Il était minuscule, tout blanc, il a jappé, je venais moi-même de le déranger!!!

Je prends quelques vidéos et photos, cachée à travers les arbres du point le plus loin qui me permette de capturer des images assez claires. Il semble coincé sur son rocher depuis la dernière marée haute de la nuit précédente. La décision est prise de poser des rubans et des affiches pour assurer une zone contre le dérangement.

La marée monte, elle arrive à son apogée, sans rejoindre le phoque. Des gens passent sur la route menant au quai, en voiture ou à pied. Je discute avec certains, personne ne cherche à s’approcher. Je demeure la plupart du temps près de ma voiture, ou dedans car le vent est assez mordant, assurant une présence. Je vais à l’occasion revoir le petit, je refais des vidéos. Je l’observe aux jumelles pour essayer de mieux comprendre ce qu’il fait et mieux voir les détails sur son corps. Je peux voir qu’il a encore son cordon ombilical séché. Il se tortille sur lui-même à l’occasion sur sa roche, entre deux siestes. Il a une phase plus active en fin d’après-midi. Il lui manque du poil au niveau du cou, que l’on tentera de mieux évaluer. Il est 17h00, comme l’achalandage est assez réduit, on me dit que je peux quitter.

Rendue chez moi, je regarde à nouveau mes vidéos, j’agrandis pour mieux voir. Je réalise que le bébé phoque cherchait avec son museau et essayait de téter le rocher en effectuant des mouvements de pression avec sa nageoire… Ceci me laisse l’impression qu’il n’est pas sevré. Je suis chez moi, début de soirée, et j’ai le sentiment qu’il n’est peut-être pas tranquille. Comme c’est vendredi soir et que c’est un endroit assez fréquenté, je repars!

Arrivée sur place, un camion est stationné à la descente de kayak. Vraisemblablement, quelqu’un est passé malgré les affiches et les rubans. Je refais des vidéos du phoque qui est toujours sur sa roche. Plus actif qu’en après-midi, cherchant maintenant à se déplacer. C’est à ce moment que j’ai pu constater qu’il frottait son cou sur le rebord tranchant du rocher plus haut en tentant de s’y hisser, ce qui pourrait expliquer la plaque de poils manquante au cou.

Entretemps, quelqu’un m’apprend que ce petit phoque aurait été mis à l’eau le jeudi par une personne qui croyait bien faire. Ainsi, il serait parti du quai pour aboutir dans cette anse, isolé de sa colonie. Le vent y a soufflé vers la terre toute la fin de semaine, peu de chance que la mère de ce chiot ne puisse arriver à le flairer ou à l’entendre.

Je vois revenir un kayakiste. Dès qu’il est suffisamment près pour m’entendre, je lui demande de sortir son kayak par l’éclaircie du petit boisé pour ne pas passer à proximité du jeune phoque. Il a tenté de négocier en me disant qu’il n’y toucherait pas et en m’expliquant qu’il est passé à côté tantôt et qu’il a jappé… Je lui dis que je peux l’aider à sortir son kayak, mais qu’il ne peut pas repasser par là. Il comprend. Sur le fait, son père et sa fille arrivent par l’accès usuel, se retrouvant à leur tour à deux mètres du blanchon! Ils rebroussent chemin. Une fois tout le monde reparti, je quitte à mon tour.

L'ascension © Andréanne Sylvain
L'éveil par les vagues © Andréanne Sylvain
L'éveil par les vagues © Andréanne Sylvain

Samedi, le chiot était en bas de son rocher. Il a exploré la pelouse et est redescendu vers l’eau en même temps que la marée. Il criait vers l’eau et cherchait à flairer vers le large. Il a fait une longue sieste suite à ce laborieux déplacement. Quand l’eau l’a atteint, il s’est réveillé au contact de quelques vagues sur lui. Remontant plus haut, de toutes ses forces, tout pris dans son corps de petit phoque, devenant plus léthargique…s’endormit à l’ombre d’un rocher. L’impuissance me gagne de plus en plus…

Dimanche, il était inanimé… c’est quelqu’un qui mangeait sur la table située à l’intérieur du périmètre qui l’a constaté. Je m’y suis rendu à nouveau, pour réaliser qu’il semblait s’être rendu plus haut que la marée de la nuit. Il a été récupéré pour nécropsie.

Si vous croisez un phoque sur les rives, évitez d’approcher à moins de 100 mètres. Si c’est un jeune phoque échoué, n’hésitez pas à le signaler s’il vous semble blessé, malade (une respiration bruyante, une toux ou un écoulement nasal), mort ou à risque d’être perturbé par l’activité humaine, en communiquant avec le Réseau Québécois d’Urgence pour les Mammifères Marins (RQUMM) au 1-877-722-5346. Il est interdit de nourrir les phoques, d’interagir avec eux, de les déplacer ou de les obliger à se déplacer.

Par Andréanne Sylvain, bénévole RQUMM

Carnet de terrain - 29/6/2023

Collaboration Spéciale

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