Début février, un épaulard mâle adulte est repéré au large des côtes du Liban, près de Beyrouth. Une apparition rarissime dans cette zone de la Méditerranée, mais aussi le résultat d’un périple exceptionnel. En effet, cet épaulard baptisé SN113 et surnommé « Riptide » est un habitué de la péninsule de Snaefellsnes, en Islande. Son identification a permis de mettre en évidence un voyage de plus de 8000 km ! « À notre connaissance, il s’agit de la plus longue route de migration d’épaulard jamais documentée dans le monde », souligne Marie-Thérèse Mrusczok, présidente d’Orca Guardians Iceland, l’organisme qui a identifié Riptide. Jusqu’ici, le record était de 2500 km. Encore le 7 mars, Riptide est observé au large du Liban.
Des « empreintes digitales » sur le dos
Si l’équipe islandaise peut confirmer avec certitude qu’il s’agit bien de Riptide, c’est grâce à la photo-identification. Chaque année, Orca Guardians Iceland prend et stocke près de 40 000 photos d’épaulards rencontrés dans l’ouest islandais à des fins d’identification. La taille et la forme de la nageoire dorsale, la présence de cicatrices ainsi que la forme des taches grises et blanches sont autant d’éléments uniques à chaque individu. Pour Marie-Thérèse Mrusczok, qui les étudie depuis 2014, « c’est un peu comme une empreinte digitale qui permet de reconnaitre et de suivre chaque épaulard ». Orca Guardians possède ainsi un catalogue d’environ 300 individus.
Jusqu’ici, grâce à la photo-identification, des migrations avaient pu être mises en évidence pour une trentaine de sujets, entre l’Islande et l’Écosse, mais jamais plus loin. C’est donc avec surprise que l’équipe d’Orca Guardians a identifié, en décembre dernier, un groupe d’épaulards repéré en Méditerranée, au large de Gênes, en Italie. « Il s’agit à l’origine d’une famille de quatre, composée d’une femelle reproductrice adulte SN114 “Zena” et de son petit, d’un mâle adulte “Riptide”, et d’un subadulte SN115. Ils avaient été vus pour la dernière fois en Islande dans le courant de l’été 2018 », précise l’association. Le « match » a été rendu possible grâce aux photos en haute définition prises par des équipes scientifiques et des associations de conservation locales.
Ce n’est pas la première fois que la photo-identification permet de mesurer des déplacements hors du commun. En 2017 et 2018, une baleine noire de l’Atlantique Nord a été identifiée grâce à des photos du côté de l’Europe. Un béluga nageant dans les Maritimes a aussi pu être identifié comme appartenant à la population des bélugas du Saint-Laurent. Le suivi de ces cas permet de mieux comprendre les déplacements des animaux, qu’ils soient des migrations typiques ou des déplacements tout à fait exceptionnels.
Perdus en Méditerranée
Mais derrière le record exceptionnel de la migration de Riptide et la très belle collaboration scientifique qu’elle illustre, se cache une triste réalité. « À notre connaissance, c’est la première fois que des orques sont repérées au Liban. Nous ne savons pas ce qui a poussé ce groupe à s’aventurer si loin en Méditerranée, mais il est probable qu’ils soient malades ou désorientés », précise la fondatrice d’Orca Guardians. En Sicile, des observateurs ont rapporté avoir vu un épaulard poussant une carcasse de juvénile, mais l’absence de photographie n’a pas permis, cette fois, d’identification précise. Une carcasse d’épaulard a également été découverte sur les côtes libanaises, mais son état n’a pas permis d’identifier formellement un membre du groupe. À l’heure actuelle, néanmoins, Riptide semble seul et désorienté au large du Liban, et l’équipe islandaise s’inquiète de son état de santé.