Résident à l’année dans le Saint-Laurent, le béluga suscite beaucoup d’admiration. Avec leur bouche sympathique toujours porteuse d’un sourire, les bélugas sont devenus un des symboles de la fragilité du Saint-Laurent pour les québécois et québécoises. Pourtant,  notre relation et notre vision de cette baleine blanche n’ont pas toujours été positives… Intéressons-nous de plus près à notre relation avec les bélugas du Saint-Laurent à travers l’Histoire!

Une présence du béluga ancienne

L’origine des bélugas dans le Saint-Laurent remonte à plus de 10 000 ans, à l’époque où une partie du territoire du Québec était recouvert par la mer de Champlain. Suite à la fonte des glaciers, le retrait des eaux a séparé géographiquement la population de bélugas du Saint-Laurent des autres populations retournées dans l’arctique canadien.

Adhothuys, aussi appelé marsouin blanc : une ressource aux mille profits

À quand remontent les premières interactions entre l’être humain et le béluga dans le Saint-Laurent? Potentiellement il y a 5 500 ans avant aujourd’hui. Des restes de bélugas ont été identifiés sur le site Lavoie aux Bergeronnes, qui était majoritairement utilisé pour la chasse aux phoques par les Premières Nations à cette époque. Ces restes seraient issus d’une chasse opportuniste du béluga. Durant l’ère du Sylvicole moyen (environ 2 400 à 1 000 ans avant notre ère), les communautés iroquoises pratiquent la pêche aux bélugas. Puis, en 1535, les Européens rencontrent pour la première fois les bélugas lors du deuxième voyage de Jacques Cartier dans le Saint-Laurent. Jusqu’alors nommés par les peuples résidents iroquois Adhothuys, les Européens ont renommé cet étrange animal inconnu « marsouin blanc ».

Ainsi, les Canadiens français ont commencé à chasser le béluga pour l’exploiter comme nouvelle ressource dès le 18ème siècle. La graisse et la peau étaient respectivement utilisées pour la fabrication d’huile et de cuir. Se vendant à bon prix sur les marchés, ce commerce a entraîné le développement de la pêche sédentaire au béluga, notamment dans le secteur de Rivière-Ouelle, où ils étaient fortement abondants. Environ 44 sites de pêches ont été construits dans les années qui suivirent, jusqu’à la fin de cette activité au 20ème siècle.

Le « marsouin blanc », devenu l’ennemi numéro 1 des pêcheurs

En 1928, la morue se faisait rare dans le Saint-Laurent. À qui la faute? Au marsouin blanc! Les pêcheurs pensaient que le béluga pouvait engloutir près de 45 kilos de poissons par jour, et serait ainsi responsable de la diminution du stock de morue! Ainsi, considéré comme compétiteur nuisible pour la pêche, le gouvernement du Québec a déclaré une guerre sans merci contre le béluga. Des carabines ont été distribuées auprès des pêcheurs, avec une prime de 15 dollars accordée pour chaque queue de bélugas rapportée entre 1932 et 1938.

En 1932, pour exterminer ces animaux jugés « malfaisants », des bombardements par aéroplanes ont eu lieu dans différents secteurs du Saint-Laurent. À l’époque, la population de bélugas était estimée à près de 100 000 individus : les carabines n’étaient donc pas assez efficaces face à ce grand nombre! De nos jours, avec du recul, nous savons que ces estimations sont erronées et que la population devait plutôt se situer entre 12 000 à 17 000 individus à la fin du 19ème siècle. Entre 1932 et 1938, près de 3 000 animaux ont ainsi été abattus.

Le béluga injustement accusé

En 1938, le Département des Pêcheries de la province de Québec subventionne une enquête sur l’influence des bélugas sur la pêche commerciale de la morue. Le chercheur Vladim Vladykov, commandité par le Département, a étudié le contenu stomacal de 165 carcasses en l’espace d’un an. Le constat est clair : les bélugas ne sont pas responsables de l’effondrement du stock de morues! De plus, chaque béluga se nourrit au maximum d’une douzaine de kilos de poissons par jour, et non d’une quarantaine comme prétendu. Ainsi, le surnom de « géants insatiables » leur a été injustement donné. Les recherches de Vladim Vladykov mènent à la fin de la pêche commerciale du béluga dans les années 50 et à l’effort d’extermination des bélugas. Cependant, la chasse sportive se poursuit, avec environ une dizaine de bélugas tués par année.

Une population en péril… la sonnette d’alarme retentit

Pour la première fois, en 1973,  Pêches et Océans Canada fait une estimation de la population de bélugas. Le verdict tombe : il ne resterait que 500 individus dans le Saint-Laurent.

Cette même année, Leone Pippard et Heather Malcom, journalistes de l’Ontario se sont rendues au Québec pour suivre des chercheurs travaillant sur les mammifères marins. Malheureusement, un manque de soutien financier a annulé l’opération à la dernière minute. Déjà rendues à Montréal, les deux journalistes ont tout de même décidé de faire leur propre reportage sur les mammifères marins, et se rendirent donc à Pointe-Noire, pour observer les bélugas tout l’été. À force d’observer, elles se comprirent qu’elles étaient capables de reconnaître les individus passant à l’embouchure du Saguenay! Cette observation a amené à la conclusion que les bélugas du Saint-Laurent ne sont pas aussi nombreux qu’on le croyait, et qu’il est urgent d’agir pour les protéger. Désireuse de sonner l’alarme sur les bélugas du Saint-Laurent, Leone Pippard continua ses recherches et observations, devenant une pionnière dans la recherche sur les bélugas du Saint-Laurent.

 

Ses travaux ont notamment permis dans un premier temps de mettre un terme à la chasse sportive des bélugas en 1979. Un programme de récupération des carcasses a également été monté afin de comprendre l’impact de la pollution chimique sur les bélugas en 1982. Enfin, la création du parc marin en 1998 a également été mise en place grâce aux travaux de Leone Pippard sur l’importance de l’embouchure du Saguenay pour les bélugas.

Comment évoluer en présence d’occupation humaine?

Avec les premières croisières aux baleines au début des années 1980, les bélugas sont devenus peu à peu des vedettes du Saint-Laurent. Cependant, cette espèce est classée en péril depuis 1983, et est non seulement victime de son succès, mais également de l’activité anthropique. Actuellement, la population du Saint-Laurent est estimée entre 1 500 et 2 200 individus. Ceci ne correspond toutefois pas à une augmentation depuis la fin de la chasse, mais à un ajustement dans nos méthodes pour dénombrer les bélugas. On considère que la population est stable et qu’elle ne parvient pas à se rétablir.  Elle compte aujourd’hui à peine plus de 10% des effectifs estimés en 1865.

La contamination par des substances toxiques, le dérangement causé par le trafic maritime ou encore le réchauffement climatique sont des facteurs limitant le rétablissement des bélugas. Bien que la relation entre l’humain et les bélugas n’ait pas toujours été harmonieuse, il est maintenant notre devoir collectif de les protéger, de sensibiliser à leur importance et d’assurer leur avenir dans un environnement sain et préservé.

 

Actualité - 23/10/2024

Chloé Pazart

Chloé Pazart est rédactrice scientifique pour Baleines en direct et naturaliste au GREMM pour la saison estivale 2024. Diplômée en France d'une Maitrise en écotoxicologie, sa curiosité pour le monde marin l'a amenée au Québec pour compléter une nouvelle Maitrise en océanographie, à l'Institut des Sciences de la Mer de Rimouski. Elle est autant passionnée de la plus petite bactérie présente dans les océans qu'au plus grand des rorquals bleus!

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