De la mer à la grève

À 9h11, le 13 juin dernier, ma journée au centre des opérations du RQUMM débute par un appel m’informant de la présence d’une carcasse à la dérive au large de Sainte-Thérèse-de-Gaspé. Les témoins en voilier, situés à proximité de l’animal, fournissent des images afin d’identifier l’espèce : c’est un petit rorqual! Toutefois, tant que la carcasse reste en mer, l’équipe mobile demeure en stand-by pour le prélèvement des échantillons.

Le lendemain, un témoin signale que la carcasse se dirige vers le rivage, dans le coin de Grande-Rivière. La  probabilité d’un échouage augmente, l’ensemble de l’équipe UMM se prépare donc à intervenir. Trois heures plus tard, la baleine est bel et bien accostée sur la grève. Cette dernière est trop grosse pour être nécropsiée à la faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe et sera plutôt échantillonnée sur les lieux. N’étant pas une espèce régie par la Loi sur les espèces en périls (LEP), ce petit rorqual ne recevra pas une analyse post-mortem approfondie. La carrure et le statut de conservation sont des critères importants pris en compte lors d’une récupération de carcasse.

 

L’équipe d’intervention de la rive-sud du fleuve se mobilise pour préparer une collecte d’échantillons et une documentation exhaustive du petit rorqual. À ma surprise, j’ai l’occasion de me joindre à mon collègue et de l’assister pendant la procédure!

Préparation et intervention

Cédric, technicien terrain du RQUMM, et moi chargeons le camion d’une multitude d’outils essentiels à la récolte de matériel biologique : des cuissards imperméables, des gants en nitrile, des bottes à cap d’acier, une glacière électrique, un appareil photo et un ensemble de couteaux bien affutés. Après s’être donné rendez-vous à 6h au matin du 15 juin, nous prenons la route à la rencontre du petit rorqual. Afin que la carcasse demeure en place jusqu’à notre arrivée, l’une de nos bénévoles dévouées sécurise celle-ci avec du cordage et attache une étiquette unique autour de la base du pédoncule.

Au terme du long parcours de Rimouski jusqu’à la pointe gaspésienne, nous arrivons sur le site et apercevons le petit rorqual au loin, sous les falaises de grès. Le soleil tape fort, la dépouille se décompose rapidement et un gros travail nous attend.

À sa rencontre

Je m’empare de l’appareil photo et procède à un examen externe de la carcasse du mammifère, en partant de la tête jusqu’aux extrémités postérieures. Il est important de noter et photographier toutes marques ou lésions suspicieuses remarquées lors de l’examen macroscopique. Celles-ci sont envoyées aux vétérinaires pour déterminer leur origine et peuvent parfois révéler des indices quant à la mort de l’animal. Nous procédons à la prise de nombreuses mesures morphologiques, allant de la circonférence maximale à l’épaisseur de la nageoire caudale, en passant par la longueur du rostre jusqu’à l’échancrure de la queue.

Un échantillonnage peu ragoûtant, mais essentiel

Le moment est venu de procéder à l’échantillonnage! Divers échantillons sont collectés pour nos partenaires afin de contribuer aux multiples projets de recherche en cours. À l’aide d’un couteau bien aiguisé, nous relevons en premier un morceau de peau et de gras.

La peau offre la possibilité d’extraire de l’ADN, permettant d’établir le profil génétique du petit rorqual. Quant aux tissus adipeux, ils constituent le principal réservoir de contaminants lipophiles, concentrant la majorité de ces substances toxiques chez les cétacés. Ce tissu permet ainsi d’évaluer la condition de l’individu et de quantifier les agents polluants. Le gras est également utile dans la détection des résidus hormonaux, indiquant l’état physiologique de l’animal et évaluant l’impact environnemental sur leur santé.

Ensuite, un morceau de muscle est prélevé. Ce dernier dévoile plutôt des renseignements sur l’alimentation de l’individu et la présence d’autres types de contaminants. En raison de leur longévité et de leur position au sommet des réseaux trophiques, les mammifères marins accumulent des niveaux importants de contaminants à travers le processus de bioamplification.

Je marche à l’avant de la carcasse, j’agrippe fermement la mâchoire du petit rorqual dans une main, empoigne un couteau dans l’autre, et m’applique à soigneusement retirer une section des fanons. Il est primordial de récolter les fanons jusqu’à la racine, puisque c’est à cet endroit que se situe l’ADN à extraire une fois en laboratoire.

Mission accomplie

On rassemble le tout dans la glacière, quittons les lieux après une longue journée sur le terrain et laissons la carcasse derrière nous. Un mois plus tard, après plusieurs signalements, le petit rorqual qui arbore maintenant un corps aux allures momifiées, demeure toujours étendu sur le rivage. Désormais problématique pour les résidents du secteur, nous faisons alors appel à Urgences Environnement (MELCCFP) afin d’assurer la gestion de l’animal. Dans un monde idéal, la carcasse aurait été emportée naturellement par la marée et transportée au large par les courants. En effet, le dépôt d’une carcasse de baleine dans les fonds marins permet de soutenir une grande biodiversité marine, en fournissant à la faune benthique une source durable de nutriments.

Enfin, notre travail sur le terrain, bien qu’il puisse sembler macabre par moment, rappelle l’importance de la documentation et de l’échantillonnage minutieux de chaque carcasse de mammifères marins qui sont signalées au RQUMM. Chaque prélèvement livre des indices essentiels sur la santé individuelle de l’animal, mais assure aussi un suivi de l’état global des populations du Saint-Laurent.

Carnet de terrain, Urgences Mammifères Marins - 28/8/2025

Ophélie Turgeon

Ophélie occupe un poste hybride de répondante UMM et de rédactrice scientifique depuis 2025. Après plusieurs années d’expérience professionnelle en plongée sous-marine à l’étranger, elle conjugue rigueur scientifique et sens de la communication. Elle puise son ancrage dans un lien profond avec le fleuve, ayant passé ses étés sur l'Ile Verte. Elle allie sa formation en biologie à une passion pour le partage des savoirs, rendant la science accessible et engageante pour divers publics

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