Est-ce que les femelles dauphins parviennent à contrôler avec quel mâle elles se reproduisent? La question semble simple, mais la méthode pour le prouver, elle, ne l’est pas pour autant. Car observer ce qu’il se passe à l’intérieur du corps lors de la copulation de deux animaux sous l’eau, eh bien, ça n’a rien d’aisé!

Pour étudier la reproduction de certains insectes, une des techniques trouvées a été de jeter un couple d’insectes en plein acte dans du nitrogène liquide, question de les congeler en un éclair et de pouvoir étudier comment les parties mâles et femelles s’imbriquent. Pour des considérations éthiques et pratico-pratiques, impossible d’utiliser cette technique avec des baleines.

Qu’à cela ne tienne, la chercheuse Dara Orbach, aujourd’hui post-doctorante à l’Université Dalhousie et chercheuse associée au Brennan Lab du Mount Holyoke College, a décidé d’étudier le rôle des femelles dans la reproduction.

«J’ai constaté rapidement dans mes études que dans la plupart de la littérature scientifique, il y avait un fort biais sur le rôle du mâle dans l’acquisition de la paternité et qu’on présumait que la femelle jouait un rôle passif», explique Dara Orbach, en entrevue avec Baleines en direct en marge de la 22e Conférence biennale sur la biologie des mammifères marins, après avoir présenté sa communication intitulée «Le Kâma-Sûtra des cétacés et des pinnipèdes : l’imbrication copulatoire chez les mammifères marins». Elle croit qu’en réalité, les femelles sont beaucoup plus actives dans le choix du partenaire qui pourra la féconder. Maintenant : le prouver.

Silicone et préparation saline

Une première étape (après les demandes de permis et les comités d’éthique) a été de décrire les parties génitales des femelles de diverses espèces, en utilisant les parties de femelles mortes de causes naturelles et en les moulant avec du silicone. Cette technique a été élaborée en collaboration avec les chercheuses Patricia Brennan et Diane Kelly.

La diversité des formes et des structures a surpris Orbach. Des replis vaginaux (vaginal folds), des culs-de-sac, des courbes en tire-bouchon… «Maintenant, si on m’envoie l’appareil génital d’un delphinidé, je peux identifier à quelle espèce de dauphin elle appartient. C’est à ce point unique», explique-t-elle.

Les formes particulières lui font se demander si elles permettent à la femelle de bloquer, ou du moins de nuire, au passage du sperme d’un mâle. Pour valider son idée, il fallait maintenant assembler les parties génitales d’un mâle et d’une femelle. Le défi : trouver le moyen de redonner vigueur aux parties masculines disons ramollies par le décès et la congélation. Après plusieurs essais, Diane Kelly a trouvé la solution : insuffler de la préparation saline pressurisée dans les tissus friboélastiques du pénis. La technique fonctionne suffisamment bien pour regonfler un pénis d’épaulard aussi long qu’une table d’examen!

Lorsque les deux parties d’une même espèce sont disponibles, on peut les imbriquer l’une dans l’autre. Avec l’aide de Mauricio Solano, vétérinaire et radiologiste, l’équipe a numérisé les parties emboitées dans un CT-scanner, question d’observer ce qu’il se passe à l’intérieur. De plus, à partir des moulages et des parties regonflées, l’équipe d’Orbach a pu recréer des modèles numériques 3D, pour pouvoir tester des angles d’imbrication et comprendre quelle est la meilleure position pour la reproduction. Ces différents outils permettent entre autres d’étudier la coévolution des parties génitales.

Un dauphin ne peut pas le faire avec un marsouin

Déjà, avec les moulages et les pénis mis en érection côte à côte, on pouvait comprendre que la forme des parties des mâles et des femelles des différentes espèces peut empêcher la procréation interspécifique. Mais maintenant, Orbach, Brennan, Kelly et Solano peuvent comprendre comment la femelle peut avoir un rôle plus actif dans le choix de la paternité de sa progéniture.

En entrevue avec le blog du magazine Discover, Orbach explique comment, avec les replis vaginaux, une femelle peut volontairement empêcher le sperme de pénétrer plus loin avec un subtil changement d’angle dans la pénétration. Si d’autres recherches sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes de la reproduction, les bases créées par Orbach et son équipe permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives en morphologie, en évolution et même en conservation.

Récemment, Orbach a pu disséquer un pénis d’hippopotame, un animal qui appartient à la famille des ongulés et qui est très près de la grande famille des cétacés. Elle a été surprise de constater la ressemblance avec le pénis des cachalots pygmées. «Ce serait vraiment intéressant de remonter dans la phylogénie, et de voir comment les espèces ont divergé en termes de diversité et de comprendre si c’est davantage une question de parenté ou si elle se rapporte davantage à l’environnement si on s’accouple dans l’eau, dans la boue ou sur terre», questionne Orbach, visiblement passionnée par son sujet d’études. Son champ de recherches est bien loin d’avoir été entièrement labouré!

Actualité - 27/11/2017

Marie-Ève Muller

Marie-Ève Muller s’occupe des communications du GREMM depuis 2017 et est porte-parole du Réseau québécois d'urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Comme rédactrice en chef de Baleines en direct, elle dévore les recherches et s’abreuve aux récits des scientifiques, des observateurs et observatrices. Issue du milieu de la littérature et du journalisme, Marie-Ève cherche à mettre en mots et en images la fragile réalité des cétacés.

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