En mars dernier, j’ai eu l’opportunité de voyager jusqu’à Morro Bay, un petit village de bord de mer situé en Californie centrale. Les embruns marins du Pacifique offraient un vif contraste au froid polaire de la Côte-Nord. De douces brises, un soleil étincelant et de longues plages de sable dorées surplombées de collines vertes ont égayé mon périple. C’est surtout la faune régionale, si riche et abondante, qui m’a souvent laissée sans voix. Cette semaine, ôtez vos imperméables et bottes de pluie, car je vous emmène au pays où le beau temps semble éternel.
Un rêve éveillé au bord du Pacifique
Située à trois heures et demie de Los Angeles, cette région chamboule immédiatement ma perception d’un État que je connais déjà. M’attendant à de grandes étendues urbaines et d’immenses plages remplies de monde, c’est avec étonnement que nous arrivons dans un village de pêcheurs entouré de ranchs et de pâturages dans lesquels broutent des vaches noires. Champs et collines sont recouverts de pavots orange, la fleur officielle de l’État. De vastes forêts de chênes et d’eucalyptus bordent les dunes verdies par des plantes grasses en pleine floraison.
Non loin de là, à Cambria, se situe le sanctuaire marin national de Monterey Bay qui existe depuis 1992. Ce lieu de protection et de recherche scientifique s’étend jusqu’à San Francisco. Il surveille l’état de santé des espèces marines et limite l’impact des activités humaines nuisibles.
Un riche écosystème
La vie est douce et paisible, et, malgré le fait que ce soit les vacances scolaires, nous rencontrons surtout de loquaces locaux amoureux de leur région. À Los Osos, un kayakiste raconte sa rencontre avec une baleine grise juvénile. Le cétacé est même passé sous son embarcation! Un pêcheur parle des difficultés économiques et autres restrictions provinciales qui ne lui permettent plus de continuer ses activités. Nous faisons de belles rencontres souvent inattendues le long de la côte, de Avila Beach à San Simeon.
La pluie et le brouillard habituels du mois de mars sont remplacés par un soleil réconfortant au vu de la fraicheur environnante. Au menu des espèces observées, dauphins, loutres de mer, phoques communs, lions et éléphants de mer marquent cette semaine enivrante. Sans oublier des dizaines d’espèces d’oiseaux qui parsèment le ciel azur, dont des colibris d’Anna, des huitriers de Bachman ou encore des pygargues à tête blanche. C’est une véritable parade printanière des animaux.
Un balbuzard pêcheur guette les environs marins pendant que des nuées de pélicans bruns rasent les vagues houleuses. Avec leur allure de ptérodactyle, ils torpillent les eaux à une vitesse hallucinante en quête de poissons. On les voit aussi jonchés sur des pitons rocheux, et ce, surtout lorsque le vent fort hurle et les force à mettre palme à terre.
J’entends le cliquetis de dizaines de crabes grimpant les rochers, pendant que les barges marbrées et les bécasseaux minuscules clapotent élégamment sur le miroir du bord de mer, à la recherche de mollusques. Les phoques communs font quelques timides mais curieuses apparitions parmi les rochers à fleur d’eau. Sont-ils plus rares que sur la Côte-Nord ou est-ce l’abondance de faune qui me donne cette impression?
La mignonnerie des loutres
À Morro Bay, j’observe, pour la première fois de ma vie, des loutres de mer à l’état sauvage. Cette jolie baie abrite une pouponnière. Les femelles y viennent, à l’abri des vagues, pour s’occuper de leurs petits. Je suis ébahie par leur délicatesse, s’attelant à prendre le plus grand soin de leur loutron, qui se font patiemment toiletter entre becs et caresses.
Selon l’Encyclopedia of Marine Mammals, les loutres de mer passent plus de temps et d’énergie à toiletter leur fourrure que n’importe quel autre mammifère! Ce comportement inclut frottements, roulades, éclaboussures et souffles pour nettoyer et renouveler l’air de leur sous-poil. Cette couche d’air maintient leur température corporelle et les garde au chaud même dans une eau glaciale! À Pirates Cove, proche d’Avila Beach, je demeure captivée par une loutre qui ne cesse de faire des galipettes dans l’eau. Pendant ce temps-là, ma famille observe un trio de dauphins étincelants dans la mer d’émeraude. J’arrive juste à temps pour apercevoir une nageoire dorsale puis plus rien. On voudrait pouvoir tout voir! Je me réconforte, car depuis ce promontoire, c’est « vue sur pélicans ». À mes yeux de néophyte, ces oiseaux exotiques ont fière allure!
Revenons à nos loutres. Historiquement, on retrouvait cette espèce du nord du Japon jusqu’en Baja california, au Mexique. Néanmoins elles ont été chassées pour leur fourrure tout le long de la côte ouest jusqu’à leur quasi-extinction, avant de se rétablir au courant du 20e siècle. Leur statut reste préoccupant. Si les activités humaines leur posent des risques, c’est un des mammifères marins qui montre le meilleur rétablissement dans la région. Cela ne me surprend pas, car on les voit en groupes de dizaines, parfois même centaines, voguant tranquillement avec leur précieux butin, loutron ou crustacé, sur le ventre.
Des éléphants de mer à San Simeon
Proche du village de San Simeon, à Piedras Blanca, se trouve une colonie d’éléphants de mer qui se constitue de 17 000 individus. Un des nombreux sentiers surplombe des troupeaux de dizaines d’individus. Je n’en avais jamais vu auparavant.
À cette époque de l’année, les mâles adultes ont déjà quitté les plages. Ayant eu vent de leur agressivité notoire envers les chiots, c’est tant mieux. Restent alors quelques femelles et mâles périphériques (non-alpha) ainsi que les juvéniles qui sont sevrés moins d’un mois après leur naissance.
Ces individus sont sereins. Blottis les uns contre les autres, ils profitent de l’ardeur du soleil hivernal et, avec les fortes bourrasques de la journée, ne semblent ni nous voir ni nous entendre. Si ce n’est un ou deux curieux qui regardent en l’air, ils dorment tous paisiblement, se souciant peu de notre présence.
Quel privilège de pouvoir les observer d’aussi près sans danger ni dérangement. Ces dodus pinnipèdes se confondent avec les troncs de bois flotté. Les chiots naissent noirs puis muent et se dotent d’un manteau argenté. Les adultes sont marrons ou gris. Sauriez-vous les différencier?
À coup de deux ou trois bonds, quelques courageux juvéniles rampent doucement mais sûrement jusqu’ à la mer comme de grasses chenilles. Certains éternuent drôlement dans leur sommeil, d’autres aboient, essayent de se mordre ou alors exhibent de curieux comportements. Avec ses nageoires avant, un individu couleur café au lait se lance du sable sur le dos. Le sable frais lui permet de réguler sa température corporelle car les éléphants de mer ne possèdent pas de glandes sudoripares.
La population de Californie en quelques faits
À cause de la chasse au phoque commerciale du 19e siècle, les éléphants de mer ont été chassés pratiquement jusqu’à leur extinction. Malgré tout, une petite population a survécu au Mexique et ses descendants totaliseraient plus de 200,000 individus aujourd’hui! 81,5% de la population d’éléphants de mer des États-Unis se retrouvent dans les Channel Islands, à plus de 200 km de San Simeon. Leur population sur ces îles était estimée à 85 369 individus en 2013! Elle voit une augmentation annuelle de 5,9% en Californie centrale et de 3,4% dans les Channel Islands depuis 1988.
Cette espèce vit de 8 à 10 mois par an en pleine mer, mais elle revient sur terre à deux reprises. En hiver pour mettre bas et se reproduire, puis au début de l’été pour la mue. Les juvéniles quant à eux reviennent aussi entre septembre et décembre, et jeûnent pendant plus de deux mois.
Vous pouvez même observer cette colonie en direct !
Les sirènes californiennes
La plage de Morro Bay est recouverte de tests, l’exosquelette, d’oursins irréguliers connus sous le nom de « dollars des sables ». Un peu en retrait, je remarque une vieille carcasse de lion de mer. Cet individu aurait-il pu être affecté par l’acide domoïque qui fait des ravages depuis quelques mois? Provenant d’une prolifération hors norme d’algues toxiques, cette neurotoxine cause des lésions cérébrales qui peuvent provoquer des changements de comportement, et souvent la mort, chez les lions de mer mais aussi chez les pélicans et les dauphins.
À 30 minutes de là, nous visitons Cambria puis San Simeon. Les longues étendues de sable alternent avec une côte rocheuse qui me rappelle l’Atlantique. Aucun besoin de les chercher, lorsque je pose le regard sur l’eau, j’aperçois souvent un lion de mer ou une loutre qui se repose sur son dos. Les lions de mer sont quant à eux bien gâtés, ils possèdent même leur propre ponton à Morro Bay!
Lors d’un arrêt à Avila Beach on en voit qui se glissent hors de l’eau, tels des sirènes… mais avec moins de grâce. Luisants, ils se hissent sur les pontons et leurs aboiements accompagnent notre diner.
Histoire de loutre
En marchant sur la jetée, j’assiste à une scène touchante. Tout prêt d’un ponton chargé de lions de mer avachis, une loutre déguste son repas pendant que son loutron nage un peu plus loin. Coquillage ou crustacé entre ses pattes, les craquements résonnent sous le ponton. Rassasiée, elle appelle en vain son petit qui s’est éloigné, puis plonge à sa recherche. Lorsque la mère ressort, elle continue à émettre ses petits cris stridents. Un bateau passe entre la paire, mais fait attention. Le loutron répond sur la même fréquence, et j’assiste à leur retrouvailles emplies de tendresse. C’est émouvant de voir la similitude entre les comportements humains et animaux. Je demeure marquée par cette région qui est à mes yeux un bijou et une célébration de la faune marine.