Les problèmes liés au rejet de plastique dans l’océan et les cours d’eau ne datent pas d’hier. On estime que la quantité de déchets devrait encore tripler d’ici 2040 jusqu’à atteindre les 29 millions de tonnes métriques déversées chaque année. Mais les plus insidieux des plastiques ne sont pas les plus visibles. Une récente étude réalisée en Nouvelle-Zélande montre que de minuscules particules sont présentes en très grande quantité dans les excréments de plusieurs espèces de baleines. Ces résultats ne sont pas isolés, et inquiètent les chercheurs sur les potentiels impacts de ces éléments sur la santé des individus.

Qu’est-ce que le microplastique ?

On appelle « microplastiques » des particules d’une taille inférieure à 5mm ou 0,2po. Elles peuvent provenir de déchets plastiques plus importants, par exemple des bouteilles ou encore des filets de pêche, qui se décomposent lentement jusqu’à atteindre des tailles minuscules. Mais la plupart des microplastiques retrouvés dans l’océan proviendraient en réalité de nos vêtements (principalement ceux en polyester). Les microfibres sont libérées lors du lavage et se retrouvent ensuite dans les eaux usées, où leur taille ne leur permet pas d’être arrêtées par les systèmes de filtration.  

Difficiles à déceler, ces particules prolifèrent partout et semblent intoxiquer la biodiversité marine jusqu’au fond des océans. Les espèces qui se trouvent en haut de la chaine alimentaire semblent particulièrement affectées.

3 millions de particules avalées par jour

Dans une étude publiée en avril 2022 dans le magazine Science of the Total Environment, une équipe de recherche de l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande expose les résultats obtenus sur les populations de rorqual de Bryde et de rorqual boréal vivant dans le golfe d’Hauraki au large d’Auckland. Après avoir récupéré et analysé leurs excréments pendant 5 ans, ils ont découvert que ces deux espèces de cétacés consommeraient en moyenne 3 millions de particules de microplastique par jour par individu.

Comment ces microplastiques se retrouvent-ils en si grande quantité dans l’assiette des baleines? Une des hypothèses les plus probables serait que ces particules se retrouvent chez les gros mammifères marins en s’accumulant le long de la chaine alimentaire. C’est ce qu’on appelle le transfert trophique : les proies des baleines seraient les premières à ingérer ces déchets avant d’être elles-mêmes avalées. Les baleines à fanon, elles, filtrent, à chaque bouchée, de grands volumes d’eau pour attraper leurs proies, elles sont donc directement exposées aux particules flottant librement dans l’océan. Ainsi, l’étude de la présence plastique chez les rorquals permet un échantillonnage assez précis de la pollution globale présente dans l’eau.

Certains pourraient argüer que les populations de rorquals étudiées pour cette étude vivent au large de la ville d’Auckland, capitale de la Nouvelle-Zélande. Cette proximité avec une zone urbaine pourrait-elle être la raison de leur surexposition aux microplastiques? Malheureusement, d’autres études semblent plutôt indiquer que cette pollution est présente partout.

Des microfibres jusqu’en Arctique

Quelques années plus tôt, à l’autre bout du monde et loin des grands centres urbains, d’autres scientifiques ont fait des découvertes similaires sur les bélugas et les microplastiques.

De 2017 à 2018, des chercheurs de l’organisme Ocean Wise ont collaboré avec des chasseurs inuits dans les Territoires du Nord-Ouest et dans la mer de Beaufort pour tenter d’évaluer le taux et le mode d’exposition principal des bélugas de la région aux microplastiques. En analysant le contenu stomacal de sept carcasses, ils ont retrouvé entre 18 et 147 particules de plastique par individu, dont près de la moitié serait du polyester sous forme de fibre.

Afin d’évaluer le taux d’exposition des principales proies des bélugas de la mer de Beaufort, l’équipe a également fait des prélèvements sur cinq espèces de poissons : la morue polaire, la morue boréale, le capelan, le cisco de l’Arctique et le chaboisseau à quatre cornes. Un poisson sur cinq contenait du plastique dans son tube digestif, principalement des fibres de polyester, avec une abondance moyenne de 1,42 à 0,44 particule. Considérant ces résultats et la quantité moyenne de nourriture consommée par un béluga chaque année, les chercheurs ont estimé qu’un individu ingèrerait entre 3 800 et 145 000 microparticules de plastique par an.

Si l’étude ne permet pas encore de connaitre l’impact sur la santé des mammifères marins, ces découvertes viennent ajouter une préoccupation supplémentaire sur la condition des bélugas et des baleines en général. Cela souligne également l’importance de prendre des mesures de réduction du plastique qui se retrouve jusque dans les zones les plus reculées de la planète.

Et dans le Saint-Laurent ?

Pour l’instant, aucune étude spécifiquement liée à la présence de microplastiques dans l’appareil digestif des baleines du Saint-Laurent n’a été réalisée. Mais il ne s’agit pas d’une absence d’inquiétude. Pour Stéphane Lair, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, « le problème ne vient pas du microplastique en tant que tel, mais plutôt des composés chimiques toxiques qui peuvent être présents dans ce plastique qui sert de véhicule. Or, nous travaillons déjà sur un projet de suivi des niveaux de contamination dans les tissus par ces composés ».

En parallèle, l’Université du Québec à Rimouski vient d’obtenir un financement pour mener un nouveau projet de recherche sur le niveau de contamination du fleuve et de l’estuaire du Saint-Laurent aux microplastiques. Le professeur Zhe Lu, spécialiste en écotoxicologie et responsable du projet indique que « en plus de faire la lumière sur les différents microplastiques qu’on retrouve [dans le Saint-Laurent], notre projet de recherche se penchera sur leurs impacts sur les émissions de gaz à effet de serre, la façon dont ils se décomposent dans l’environnement et leurs impacts sur la faune marine ». Cette étude permettra surement d’en apprendre davantage sur la menace que font peser ces particules sur les cétacés résidents du Saint-Laurent, qui doivent déjà faire face à de nombreuses pressions liées aux activités anthropiques.

Actualité - 4/8/2022

Lise Faure

Lise Faure a grandi près de la mer en Bretagne (France). Elle a été sensibilisée très tôt à l'importance de préserver les écosystèmes marins et a choisi d'étudier la science politique appliquée à l'environnement. Après avoir traversé l'océan Atlantique, elle s'engage auprès du GREMM et de Baleines en direct pour partager sa fascination pour les baleines du Saint-Laurent.

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