Malgré les mesures mises en place au Canada depuis 2006 pour réduire la concentration de certains retardateurs de flamme (les polybromodiphényléthers – PBDE) dans l’environnement canadien, ces contaminants sont toujours aussi présents chez le béluga du Saint-Laurent, dévoile une étude publiée récemment. La concentration de PBDE dans le gras du béluga du Saint-Laurent est environ 4 fois plus élevée que chez le petit rorqual du Saint-Laurent et le béluga de l’Arctique canadien. Cette étude démontre également, pour la première fois, que des retardateurs de flamme « émergents », certains utilisés comme substituts aux PBDE, s’accumulent à leur tour dans le gras de cette population en voie de disparition.

Les retardateurs de flamme: que sont-ils?

Les retardateurs de flamme, comme leur nom l’indique, sont des composés utilisés pour diminuer les risques de propagation de flammes dans les matériaux synthétiques. Ils sont ajoutés par les manufacturiers à divers produits de consommation tels les matelas, les meubles rembourrés, les textiles, les plastiques, les équipements électroniques, etc.

Les PBDE représentent une des familles de retardateurs de flamme les plus utilisées en Amérique du Nord à partir des années 1970. Depuis 2006, il est reconnu que les PBDE se propagent dans l’environnement sur de longues distances, sont persistants, se bioaccumulent chez les organismes et peuvent avoir des effets néfastes sur la santé des espèces animales, par exemple sur le système hormonal, la croissance, la reproduction, le comportement et le développement. Ils ne sont donc plus utilisés au Canada.

Les mesures règlementaires concernant les PBDE ont entrainé la production et l’utilisation de retardateurs de flamme substituts, dits « émergents », dont on connait peu les quantités utilisées, l’accumulation dans l’environnement et la toxicité.

Pourquoi retrouve-t-on des retardateurs de flamme dans les baleines?

Comme les PBDE ne sont pas chimiquement liés aux matériaux, ils peuvent être libérés dans l’environnement pendant les phases de fabrication, de vie utile et d’élimination des articles qui en contiennent. Ils s’accumulent tout au long de la chaine alimentaire et peuvent se retrouver à des concentrations parfois très élevées chez certains prédateurs. Les plus fortes concentrations ont été mesurées chez les espèces vivant près des régions industrialisées, tels les mammifères marins du Saint-Laurent. Toutefois, la présence de PBDE dans le biote de l’Arctique indique que ces contaminants peuvent également être transportés dans l’atmosphère sur de longues distances.

Le niveau de PBDE dans le gras du béluga du Saint-Laurent a augmenté de façon rapide entre 1987 et 1997. Les chercheurs se questionnent sur l’impact possible de ces contaminants sur le succès reproducteur de cette population, chez qui l’on observe une mortalité élevée des mères et des nouveau-nés depuis 2010.

Des populations hautement contaminées

Les chercheurs ont comparé les concentrations de 35 PBDE et de 13 retardateurs de flamme émergents dans le gras de bélugas et de petits rorquals retrouvés morts dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent ainsi que dans le gras de bélugas chassés par les Inuits dans les eaux du Nunavik (le territoire québécois situé au-delà du 55e parallèle nord).

Des concentrations en retardateurs de flamme plus élevées chez le béluga du Saint-Laurent que chez les deux autres populations de cétacés étudiées ont été rapportées dans l’étude. Ce résultat s’explique par le fait que le béluga du Saint-Laurent appartient à un niveau trophique plus élevé (il est plus haut dans la chaine alimentaire) que le petit rorqual; il vit plus près des sources locales de retardateurs de flamme (les grandes villes aux abords du fleuve et des Grands Lacs) que le béluga du Nunavik; et il réside toute l’année dans le Saint-Laurent, contrairement au petit rorqual qui est un visiteur saisonnier. Selon les chercheurs, le béluga du Saint-Laurent est un des mammifères marins les plus exposés aux PBDE au monde et il se classe au deuxième rang des mammifères marins les plus contaminés par ces composés chimiques au Canada, après les épaulards résidents qui vivent le long des côtes de la Colombie-Britannique.

Bien que le petit rorqual du Saint-Laurent soit moins contaminé par les PBDE que le béluga du Saint-Laurent, les concentrations de PBDE dans son gras sont approximativement 1,5 à 7 fois plus élevées que celles observées chez les petits rorquals vivant au large de la Corée, du Japon, du Royaume-Uni, du Groenland, de l’Islande et de la Norvège.

À la surprise des chercheurs, certains retardateurs de flamme émergents ont été détectés, pour la première fois, dans le gras de bélugas du Nunavik. Les concentrations de deux retardateurs de flamme (le déchlorane plus et le déchlorane 604 composant B) étaient même plus élevées chez le béluga du Nunavik que chez le béluga du Saint-Laurent.

Le béluga du Saint-Laurent toujours aussi contaminé par les PBDE

L’étude ne démontre aucun changement significatif dans la concentration des PBDE dans le gras du béluga du Saint-Laurent entre 1997 et 2013. Ceci suggère que les règlements mis en place en Amérique du Nord et ailleurs concernant ces contaminants sont trop récents pour permettre d’observer un effet chez cet animal qui a une longue espérance de vie (40-60 ans).

« De nombreux produits contenant des PBDE sont encore utilisés, recyclés ou en phase d’élimination et continuent donc d’émettre des PBDE dans l’environnement », explique Jonathan Verreault, professeur au Centre de recherche en toxicologie de l’environnement (TOXEN) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et un des auteurs de l’étude. « Il faudra donc possiblement encore plusieurs années avant de pouvoir observer une diminution du niveau de contamination, comme cela a été le cas pour les BPC et autres organochlorés suite à leur interdiction », conclut-il.

Actualité - 13/6/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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