De Matane à Bonaventure, en passant par l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, les bélugas sont partout ce printemps. Depuis le début de l’année, le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) a recensé une dizaine de cas de bélugas hors secteur, au Québec et dans les maritimes. Bien que des bélugas vagabonds occupent le RQUMM chaque début de saison, le nombre de cas est particulièrement élevé cette année.

Pendant la saison estivale, les bélugas se trouvent habituellement dans l’estuaire moyen, en amont de Forestville sur la Côte-Nord et de Rimouski sur la rive sud. Alors, quand un béluga est observé en Gaspésie ou plus à l’est en plein mois de juin, c’est qu’il est très loin des siens.

Ainsi, en plus de se trouver dans des lieux inhabituels, les bélugas hors secteur sont souvent solitaires, ce qui inquiète les spécialistes du RQUMM. En effet, lorsqu’ils se retrouvent isolés de leurs congénères, les bélugas, des animaux grégaires, ont tendance à développer des comportements de sociabilité avec des objets ou avec des humains, ce qui les rend plus vulnérables aux accidents. Par exemple, un béluga qui interagit à de nombreuses reprises avec des hélices de bateau dans un port risque de perdre sa vigilance : il pourrait ne plus percevoir le danger associé aux bateaux en déplacement. C’est pourquoi il est important de laisser de l’espace au béluga et de ne pas interagir avec lui, afin d’augmenter les chances qu’il rejoigne les siens.

De plus, ces bélugas vagabonds développent parfois une routine et un attachement à un port ou à une marina. Avec le temps, ils deviennent donc de moins en moins enclins à partir et leur séjour préoccupant se prolonge. C’est le cas d’un béluga qui est demeuré dans le port de Matane pendant près d’un mois. Observé pour la première fois vers la fin du mois de mai, il a été vu presque tous les jours par la suite par des bénévoles du RQUMM et par des pêcheurs. Heureusement, il est finalement reparti de lui-même!

Pourquoi certains bélugas s’éloignent-ils autant?

Les bélugas ne sont pas les seules baleines à partir en cavale. Les nombreuses histoires de baleines loin de la maison montrent que ces situations ne sont pas complètement anormales.

Dans le cas du béluga observé à Matane, il est possible qu’il se soit séparé de son groupe lors de la migration printanière, du golfe vers l’estuaire. Certains bélugas auraient aussi un caractère explorateur, ce qui expliquerait leur présence dans les maritimes.

Et si les bélugas vagabonds restent dans leur secteur d’accueil, c’est possiblement parce qu’ils y trouvent de la nourriture. En effet, plusieurs des bélugas hors secteur recensés ce printemps ont été observés chassant et s’alimentant. De plus, lorsqu’ils s’installent dans un port ou une marina, ils parviennent à combler leur besoin d’interaction, ce qui compenserait l’absence des nombreux contacts sociaux qu’ils ont normalement avec leurs congénères. Toutefois, ces interactions avec des humains sont nuisibles à la sécurité du béluga, qui pourrait prolonger son séjour, ce qui augmente les risques de collisions.

Comment agir en présence d’un béluga?

Si vous souhaitez observer un béluga, optez pour un lieu d’observation terrestre plutôt que pour l’observation en bateau. Profitez-en pour observer son comportement, comme la recherche de nourriture, le repos et le jeu.

«Sur l’eau, c’est un vrai défi : parfois, c’est le béluga qui recherche l’interaction, en s’approchant des kayakistes, par exemple», explique Robert Michaud, coordonnateur du RQUMM. Afin d’assurer la sécurité du béluga, les plaisanciers et les pêcheurs doivent résister à la tentation d’interagir avec le béluga.

Si le béluga se présente très près de votre bateau, attendez d’être à une distance sécuritaire et quittez prudemment la zone. En vertu du Règlement sur les mammifères marins, toute embarcation doit conserver une distance d’au moins 100 mètres avec un béluga. Dans l’estuaire du Saint-Laurent, cette distance réglementaire est plutôt de 400 mètres.

Comment intervenir auprès des bélugas hors secteur?

Dans les cas de bélugas hors secteur, les options d’intervention sont plutôt limitées. La plupart du temps, le RQUMM mise sur les actions de sensibilisation: en informant la population locale de la présence du béluga et de l’importance de rester à bonne distance, la durée du séjour et les risques d’accident sont potentiellement réduits. Par exemple, à la mi-juin, lorsqu’un béluga a élu domicile dans le barachois de la rivière Bonaventure, un lieu prisé par les de nombreux plaisanciers et pêcheurs, l’équipe mobile du RQUMM est allée à la rencontre d’une dizaine d’organismes et entreprises et de 70 citoyens. Des affiches informatives ont aussi été installées un peu partout.

Au centre d’appels d’Urgences Mammifères Marins, les préposé.es transmettent également plusieurs messages de sensibilisation aux riverains inquiets d’observer un béluga dans leur coin de pays. Si vous observez vous aussi un béluga dans un endroit inhabituel, appelez Urgences Mammifères Marins au 1 877 722-5346.

Cette année, les bélugas vagabonds dans les maritimes ont beaucoup fait jaser dans les médias locaux. Chaque entrevue à la radio est donc une occasion pour le coordonnateur du RQUMM, Robert Michaud, de souligner l’importance d’éviter d’interagir avec les bélugas.

Le RQUMM compte sur un réseau de bénévoles, qui sont ses yeux et ses oreilles sur le terrain. Les bénévoles documentent de manière assidue le comportement et l’état de santé des bélugas vagabonds au Québec. En transmettant leurs observations, les entreprises et organismes sensibilisés sont aussi de précieux collaborateurs. Ainsi, le RQUMM et ses partenaires sont informés rapidement de tout changement à la situation, ce qui leur permet de prendre les meilleures décisions.

Par le passé, le RQUMM a déjà tenté plusieurs techniques d’effarouchement, afin d’encourager un béluga à quitter un secteur achalandé. L’augmentation de la navigation représentait une menace imminente pour la sécurité du béluga, qui ne semblait pas enclin à quitter le secteur de lui-même. L’intervention s’est finalement avérée infructueuse, ce qui témoigne de la difficulté à influencer le comportement d’animaux sauvages, qui sont libres de leurs mouvements.

Dans certains cas, le RQUMM et ses partenaires peuvent envisager de relocaliser un animal perdu, comme dans l’histoire de Nepi, un béluga qui s’est retrouvé coincé dans la rivière Népisiguit en 2017. Ces opérations de sauvetage ne sont pas sans risque pour l’animal et pour l’écosystème et c’est pourquoi les spécialistes doivent se poser de nombreuses questions avant de les entreprendre. Dans un prochain article, Baleines en direct survolera les différents enjeux de conservation et d’éthiques liés aux interventions visant à venir «en aide» aux animaux en difficulté.

Urgences Mammifères Marins - 29/6/2021

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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