C’est une première: des biologistes en Alaska ont capturé des bélugas temporairement dans leur milieu naturel et mesuré ce qu’ils peuvent entendre. Une étape importante pour le suivi des populations de bélugas dont la plupart sont en péril et souffrent de la pollution sonore.
Si des mesures des capacités auditives ont déjà été effectuées sur des bélugas en captivité, des biologistes ont mené pour la première fois leurs investigations sur sept animaux en liberté, dans la baie de Bristol en Alaska en septembre 2012. Leur étude et ses résultats ont été publiés dans The Journal of Experimental Biology le 14 mai 2014.
Se mettre à l’eau pour tester les animaux
Dans des eaux d’une profondeur de moins de deux mètres, ils les ont capturés un à un avec un filet. Chaque béluga a été placé tout près d’un canot pneumatique de l’équipe. Le filet a été retiré et remplacé par une ceinture passant sous le ventre de l’animal, ses nageoires pectorales logées dans les trous de la ceinture. Les scientifiques, eux-mêmes debout dans l’eau, ont pu ainsi maintenir l’animal pour effectuer le test auditif. Ils ont placé sur ses mâchoires des haut-parleurs diffusant des sons préalablement enregistrés et des électrodes sur sa tête et son dos pour capter l’activité du cerveau lors de la réception de ces sons. La capture a duré en moyenne 45 minutes sans excéder deux heures. Les scientifiques ont précisé que les bélugas capturés sont restés tranquilles et n’ont pas tenté de se libérer.
Les audiogrammes ont montré la gamme de fréquences perçues par les sept bélugas, de 4 à 150 kHz, et les variations individuelles. La courbe de l’audiogramme présente une courbe en forme de U typique des cétacés. Tous les animaux entendaient bien, percevant jusqu’à 128 kHz, et deux d’entre eux ont capté les fréquences maximales de 150 kHz. Selon les individus, des variations relativement importantes, supérieures à 30 décibels, ont été observées dans les seuils minimaux et maximaux de leur capacité d’audition.
Les chercheurs précisent que les capacités auditives des bélugas de la baie de Bristol qu’ils ont étudiés sont semblables à celles des bélugas vivant en captivité dans des aquariums. Avec ces variations individuelles observées, ils estiment qu’il serait nécessaire d’avoir de multiples audiogrammes pour bien décrire les seuils de perception d’une population et ses variations.
Une menace élevée
Le bruit émis sous la surface de l’eau par toutes sortes d’activités humaines est en constante augmentation dans tous les océans et mers du monde. Parmi ces sources de bruits, citons le trafic maritime, les levés sismiques et forages, et les sonars actifs des sous-marins militaires. Pour les mammifères marins, dont tout le mode de vie est régi par l’audition, la pollution sonore peut entraîner des surdités, des états de stress chroniques avec des impacts sur leurs comportements et capacités d’orientation, de chasse et de communication.
Pour les chercheurs de l’Alaska, il est nécessaire de mesurer ce que les organes auditifs des bélugas perçoivent dans leur environnement naturel pour effectuer un suivi des populations, et particulièrement celles exposées de manière chronique à la pollution sonore. Ces suivis permettront de mettre en place des mesures de limitation d’émissions sonores liées aux activités humaines dans des zones particulièrement touchées et fréquentées par des populations de bélugas en péril.
Tous les bélugas du monde vivent dans les régions polaires de l’hémisphère Nord, hormis le béluga du Saint-Laurent, une petite population isolée qui vit le plus au sud. Ils fréquentent la plupart du temps des estuaires, des bras de mer et des zones côtières où les activités humaines et leurs bruits sont importants, voire intenses. Avec la fonte accélérée des glaces de l’Arctique, le trafic maritime et les projets industriels et pétroliers en milieu côtier et marin se développent. Leurs émissions sonores représentent une menace à prendre de plus en plus en considération.
Presque tous les bélugas sont en péril
Les bélugas étudiés dans la baie de Bristol, sur la côte occidentale de la péninsule de l’Alaska qui s’ouvre sur la mer de Béring, vivent dans un environnement relativement tranquille et représentent un bon échantillon pour constituer une base de données sur les capacités auditives des bélugas en liberté. Leur population est considérée être en bonne santé et en augmentation. Mais un projet d’exploitation minière sur la côte, Peeble Mine, risque d’avoir des impacts sur elle.
Aux États-Unis, on trouve cinq populations de bélugas, dont celle de Cook Inlet classée en voie de disparition vivant près de la côte orientale de la péninsule d’Alaska. Pour la population de Cook Inlet, le bruit dans son environnement a été identifié comme une menace importante et considéré comme un des facteurs pouvant limiter son augmentation.
Au Canada, sur les sept populations, six sont en péril, classées selon différents statuts de situation allant de « préoccupante » à « en voie de disparition ». Pour le béluga du Saint-Laurent, la pollution sonore a été identifiée comme une des principales menaces empêchant son rétablissement.
Les chercheurs de la présente étude projettent de poursuivre cet été leurs recherches sur le même terrain et d’augmenter le nombre de bélugas testés.
Avec les récents développements de l’équipement de terrain, les chercheurs ont pu capturer temporairement des bélugas dans la baie de Bristol en Alaska et réaliser des tests auditifs sur eux. Les haut-parleurs et les électrodes ont été fixés sur des ventouses pour adhérer à la peau de l’animal. D’autres prélèvements et examens de santé ont été effectués.
Sources
Sur le site de The Journal Experimental Biology (en anglais seulement):
Baseline hearing abilities and variability in wild beluga whales (Delphinapterus leucas)
Pour en savoir plus:
Sur le site de Phys.org (en anglais seulement):
Scientists test hearing in Bristol Bay beluga whale population