Des algorithmes aux bélugas
Depuis les balbutiements de sa carrière, Clément Chion allie ingénierie et écologie. Pour ce faire, il se spécialise dans la modélisation de l’interaction entre l’humain et l’écosystème. Mais pourquoi les baleines?
«Je suis venu dans la région de Tadoussac plusieurs fois au début des années 2000 et ç’a été un coup de cœur, mais, au-delà de ça, ce sont les hasards de la vie — les opportunités et les rencontres — qui m’ont guidé jusqu’aux cétacés du Saint-Laurent», se rappelle Clément Chion. En 2006, la professeure Lael Parrott, spécialiste des systèmes humain-environnement, jetait déjà les bases d’un projet de simulateur des déplacements des baleines et du trafic maritime lorsque Clément Chion s’y joint dans le cadre de son doctorat au sein du laboratoire des Systèmes complexes à l’Université de Montréal.
Un laboratoire virtuel du Saint-Laurent
Le simulateur, 3MTSim (Marine Mammal and Marine Traffic Simulator), ressemble à un jeu vidéo si on jette un coup d’œil à l’ordinateur de Clément Chion : des « points baleines » et des « points navires » se partagent le territoire du Saguenay et du Saint-Laurent. Mais ce qui intéresse le chercheur, c’est ce qui se trouve derrière l’écran. Le chercheur y développe des algorithmes pour tester différents scénarios impliquant les mammifères marins et les différentes composantes de la navigation : « C’est un laboratoire virtuel qui me permet d’explorer comment les interactions bateau-baleine seront affectées si on modifie des paramètres, comme la vitesse des navires. Quel effet cela a-t-il sur les mammifères marins, dont le béluga, et sur les opérations de l’industrie? »
Les travaux de Clément Chion permettent de rassembler de nombreuses données et connaissances sur les bateaux, les baleines et leurs interactions, provenant de ses collaborateurs dont le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Parcs Canada, Pêches et Océans Canada et l’industrie maritime. « Tandis que mes partenaires vont sur le terrain, le gros de mon travail est d’utiliser toute cette information pour reproduire mathématiquement la réalité dans le Saint-Laurent», explique-t-il.
Perfectionner le simulateur
Depuis qu’une première version du simulateur 3MTSim a été achevée en 2012, la compréhension des enjeux en lien avec les mammifères marins s’améliore d’année en année. Pour refléter cette évolution, Clément Chion travaille, depuis 2014, sur une nouvelle mouture intégrant la dimension acoustique. À partir de l’été 2018, son équipe travaillera au développement d’un modèle à l’échelle de l’individu des déplacements des bélugas du Saint-Laurent, en plus de perfectionner et d’ajouter des modules représentant les différentes composantes de la navigation et leurs impacts.
«Le simulateur n’est pas magique : il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour savoir miraculeusement quelle est la meilleure décision à prendre pour le Saint-Laurent», remarque-t-il. Le Saint-Laurent est un système complexe. Même avec un grand nombre de données, le simulateur, comme n’importe quel autre modèle, retourne des estimations et des prédictions avec un certain niveau d’incertitude qui peuvent guider les gestionnaires et parties prenantes dans leur prise de décision.
En 2013, les différentes évaluations du modèle 3MTSim ont ouvert la porte à l’instauration de mesures volontaires (réductions de vitesse, aire à éviter et route recommandée) dans des zones écologiques sensibles de l’estuaire maritime du Saint-Laurent.