Dimanche, le 13 septembre, j’ai dû, comme à l’habitude, composer avec la marée pour mettre à l’eau mon bateau et finalement ne sortir qu’en après-midi depuis Le Bic. Avec une mer d’huile comme c’était cette journée-là, il m’a pris près d’une heure pour atteindre la baie de Mille-Vaches au large de Longue-Rive, soit une vingtaine de milles marins à parcourir. Un beau grand souffle m’a accueilli. J’étais soulagé de constater qu’il y avait un rorqual bleu dans le secteur. Il y en a eu très peu dans l’estuaire depuis le début de la saison. J’avais fait trois ou quatre sorties auparavant, en couvrant beaucoup de terrain, mais sans grand succès. Il s’agissait de B119 nommé «Slash» par la Station de recherche des îles Mingan (MICS), facile à reconnaître par ses larges cicatrices blanchâtres sur son flanc droit. Pendant que j’essayais de photographier cet animal, j’observais d’autres grands souffles au loin. J’ai compté jusqu’à huit souffles différents de rorquals bleus lors de ma sortie. Ces baleines semblent de retour en grand nombre dans l’estuaire. Je n’ai malheureusement pas pu photo-identifier plus de la moitié de ces rorquals bleus par manque de temps, de lumière et par leur comportement d’alimentation. En effet, le ciel s’ennuageait et la lumière devenait faible, le krill remontait vers la surface et il était facile d’observer ces masses denses de nourriture sur l’échosondeur dans la colonne d’eau près de la surface.

Alimentation de surface, tournée sur le côté

Lorsque les rorquals bleus s’alimentent tout juste sous la surface de l’eau, ils ne sortent pas souvent et pas assez hors de l’eau pour qu’on réussisse à prendre une bonne photo. En effet, ils nagent lentement sur le côté, laissant même souvent voir une nageoire pectorale et une partie de leur queue hors de l’eau, puis ils roulent sur eux-mêmes pour une respiration ou deux mais ne montrent pas suffisamment l’ensemble du dos et la nageoire dorsale. Ils n’ont pas nécessairement besoin d’avoir une bonne vitesse et de sortir haut le dos comme ils le font lorsqu’ils plongent profondément et encore moins de lever la queue. Puis, ils recommencent le «manège» qui ne semble pas nécessiter beaucoup d’énergie et de respirations. Ils se déplacent très lentement et souvent en grand cercle. Lorsqu’ils ne sortent aucune partie de leur corps, on peut même les suivre, sans les voir, juste par le déplacement de l’eau qu’ils produisent en surface.

À un certain moment, j’étais encerclé par quatre rorquals bleus qui avaient tous le même comportement: ils sortaient le dos, mais sans bouger, sans avancer. C’était comme une montagne qui poussait hors de l’eau. Ils gravitaient autour de moi, près du bateau, presque trop près, sans que j’aie à me déplacer. C’était impressionnant! Les habituels «flukers», soit les individus qui lèvent généralement la queue, laissaient traîner leur queue sur la surface plutôt que de la lever complètement. Ce comportement, de lever la queue en plongeant, semble inutile lorsque leur nourriture est peu profonde et très accessible.

Trois individus s’alimentant en surface

Habituellement, pour réussir de bonnes photos d’identification d’un rorqual bleu, on attend sa sortie et on se positionne face à son flanc, à sa vitesse, pour le photographier perpendiculairement. Ayant préalablement chronométré sa dernière séquence, prévu son temps de plongée, sa direction et son nombre de respirations, on réussit normalement la meilleure photo sur la dernière respiration, dans son élan de plongée lorsque le dos apparaît au maximum. C’est pourquoi ce comportement d’alimentation en surface est peut-être spectaculaire, mais loin d’être idéal pour la photo-identification.

Cette courte sortie m’aura permis de réussir quelques médiocres photos sur la moitié des individus. C’est un peu frustrant comme résultat, mais si bien récompensé par l’observation de ces comportements impressionnants de ces calmes géants. En espérant qu’ils restent encore quelque temps pour le bonheur d’autres observateurs.

Photos: © René Roy

RenéRené Roy est un cétologue amateur, passionné de la mer et des baleines, résidant à Pointe-au-Père, dans le Bas-Saint-Laurent. Depuis plusieurs années, il entreprend des expéditions de photo-identification pour le compte de la Station de recherche des îles Mingan (MICS), principalement en Gaspésie. Il est également bénévole pour le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins.

Carnet de terrain - 18/9/2015

René Roy

René Roy est un cétologue amateur, passionné de la mer et des baleines, résidant à Pointe-au-Père, dans le Bas-Saint-Laurent. Depuis plusieurs années, il entreprend des expéditions de photo-identification pour le compte de la Station de recherche des iles Mingan (MICS), principalement en Gaspésie. Il est également bénévole pour le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins.

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