Dimanche 30 juillet 2017, 7h17 am, à 1 mile au large des ilets Boisés :
Cela ne fait que 15 minutes que nous scrutons l’horizon lorsqu’un grand souffle apparait au large. Le capitaine met donc le cap sur ce qui semble être un grand rorqual. Au fur et à mesure que nous nous en approchons, notre hypothèse se valide, c’est un rorqual bleu !
Le rorqual bleu est identifiable de loin grâce à son puissant souffle en colonne pouvant atteindre 6 m de hauteur. Toutefois, avec ce seul indice, on peut le méprendre avec un rorqual commun, deuxième plus grand cétacé.
L’individu rencontré a un comportement pour le moins étonnant qui lui vaut les surnoms de Fontaine ou encore de Clairefontaine. Bien qu’il ne le fasse pas systématiquement, il lui arrive au départ en plongée d’éjecter une grande quantité d’eau semblable à une petite explosion. C’est comme s’il lâchait une expiration avant son départ sous la surface.
Les photos de comportements sont certes agréables à prendre, mais mon travail d’assistant de recherche demande des clichés plus classiques pour identifier les individus croisés, afin de mieux comprendre l’espèce. Les données recueillies vont servir à faire le suivi de l’évolution des populations de grands rorquals fréquentant le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Comment s’y prendre ?
On va chercher à photographier au moins un des deux flancs de l’individu sur la plus grande surface possible. De plus, l’idéal est d’avoir sur le dos de l’individu au moins un bon repère visuel dans le but de faciliter l’identification : nageoire dorsale, son évent ou encore une cicatrice.
Bien sûr, ce n’est pas toujours simple. Par exemple, l’exposition lorsque l’on se retrouve à contre-jour vient effacer tout critère d’identification sur le dos de l’individu ciblé. De plus, les conditions météo comme les vagues peuvent nuire à notre stabilité, voire recouvrir une partie de l’animal au moment où l’on appuie sur la gâchette. Bref, la prise de photos en mer n’est pas toujours facile.
Lorsque l’on a une bonne série de photos, le casse-tête commence !
L’idée est simple : il faut simplement des éléments uniques à l’individu et arriver à retrouver ces même points communs sur un individu déjà identifié. On appelle cette démarche «faire un match».
Certains des individus qui fréquentent le plus souvent notre secteur d’observation sont répertoriés dans le guide d’identification Les grands rorquals dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Mais ce n’est pas le cas de l’individu croisé le 30 juillet. Le match se déroulera donc au laboratoire.
Premier repère, la nageoire dorsale de la baleine avec sa forme caractéristique va permettre une première sélection. Chez le rorqual bleu, c’est plutôt le patron de coloration tacheté de gris et de bleu qui permettra de tirer les informations nécessaires à l’identification.
À la manière d’un puzzle, il faut chercher à faire ressortir des marques afin de les retrouver sur un individu déjà connu.
Série de photos du flanc gauche (2017):
Série de photos du flanc droit (2017):
La photo-identification des rorquals bleus dans le Saint-Laurent est une tradition de longue date. Il faut donc parfois remonter dans les archives pour comparer les photos. Regardons ensemble cette série de B324 prise en 1996 :
Série de photos (1996):
Eh oui, nous retrouvons plusieurs critères semblables à notre baleine. La coloration du rorqual bleu restera la même pendant toute la vie de cette baleine
Ça ne fait pas de doute, grâce à ces points communs, on peut confirmer qu’il s’agit bien de B324 (numéro attribué par la Station de recherche des iles Mingan qui gère le catalogue des rorquals bleus dans le Saint-Laurent). «Fontaine» n’en est donc pas à sa première visite dans notre bel estuaire. Cependant, son comportement à l’origine de son petit surnom n’avait pas été observé les années précédentes. Quelle en est la raison ou l’origine? Pour l’instant, c’est un mystère!