Quinze, c´est le nombre exceptionnellement élevé de bélugas nouveaux-nés signalés morts cette année à Urgences Mammifères Marins. Les chercheurs sont inquiets : s´agit-il simplement de mortalités associées à un « baby boom » ou y a-t-il un problème? On s´inquiète aussi du nombre élevé de femelles mortes en donnant naissance ces trois dernières années. Alors qu´on est dans la 30e année du programme de récupération des carcasses, programme complété par des survols aériens et du travail en mer avec les animaux vivants, on constate à quel point ces suivis à long terme sont précieux et contribuent à sonner l´alarme pour mieux protéger le béluga du Saint-Laurent.

Des signaux alarmants

Depuis 1982, le nombre de bélugas nouveaux-nés signalés morts au programme de récupération des carcasses oscillait entre 0 et 3 selon les années, avec deux autres années de mortalités importantes, soit 2008 (8 cas) et 2010
(11 cas). Avec 15 cas cette année, la situation est donc inhabituelle. De plus, le vétérinaire pathologiste Stéphane Lair, responsable des nécropsies de béluga, lance un autre signal d´alarme : en 2010, 2011 et 2012, 8 des 15 femelles nécropsiées sont mortes dans la période entourant une mise bas (57 %). Au cours des 27 années précédentes, cette proportion était de 11 %.

Stéphane Lair indique que les nécropsies des bélugas nouveaux-nés ne révèlent pas de maladies pouvant expliquer leur mort. Il croit plutôt que les jeunes ont été séparés de leur mère. Plusieurs hypothèses sont à l´étude : problème de mise bas menant à l´affaiblissement du jeune et de sa mère, augmentation du dérangement par les humains, effets d ‘une biotoxine ou d´un contaminant chimique comme les PBDE, effets combinés de plusieurs facteurs… Les chercheurs en charge de différents volets du programme de suivi des bélugas se penchent sur ces hypothèses et mettent tout en œuvre pour mieux comprendre ce qui arrive à cette population en péril.

Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, rappelle : «Le béluga du Saint-Laurent est une population menacée. On estime la population à environ 1100 individus, et jusqu´à présent, on considérait qu´elle était stable. L´apparente augmentation des mortalités pourrait faire changer cette tendance… ce qui nous rappelle l´extrême fragilité de cette petite population isolée.»

L´hypothèse d´une algue toxique?

En 2008, les mortalités de bélugas étaient liées à une algue microscopique présente en quantité inhabituelle dans l ‘estuaire et produisant une neuro-toxine (saxitoxine) : des milliers d´oiseaux, de poissons, d´invertébrés et de mammifères marins étaient morts en quelques semaines. Cette année, on observe également des mortalités de poissons, d´oiseaux marins et d´invertébrés dans le Saint-Laurent, mais en dehors de l´aire des bélugas : il est donc difficile de faire le lien entre tous ces incidents pour le moment. Pêches et Océans Canada poursuit l´analyse de divers échantillons et a fermé les bancs coquilliers sur la Côte-Nord, au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, de manière préventive. Parcs Canada a également échantillonné dans l’estuaire moyen: dans plusieurs secteurs hautement fréquentés par les bélugas, une équipe a prélevé des échantillons d’eau et d’organismes marins afin de vérifier la présence de certaines algues et des toxines qui y sont associées.

Mieux comprendre pour mieux protéger

La situation alarmante de l´été 2012 pour les bélugas et les nombreuses hypothèses soulevées par les chercheurs de groupes privés, d´universités et du gouvernement démontrent bien l´importance des programmes mis en place depuis une trentaine d´années. Ces programmes permettent au public de signaler efficacement les carcasses de bélugas ou autres incidents via Urgences Mammifères Marins (1-877-722-5346), de transporter et de nécropsier les carcasses de bélugas, de mener des analyses de contaminants et de toxines, de faire des inventaires aériens de la population ou de documenter le comportement des bélugas dans leur habitat. Or, des mesures récentes du gouvernement fédéral menacent la poursuite de plusieurs volets de ce programme, au moment même où les inquiétudes pour cette fragile population s´accroissent.
«C´est une préoccupation réelle, déclare Robert Michaud, il faut absolument que, collectivement, nous puissions continuer à assumer nos responsabilités envers cette espèce en péril».

Pour en savoir plus:

Baleines en péril, Béluga

Urgences Mammifères Marins - 13/9/2012

Équipe du GREMM

Dirigée par Robert Michaud, directeur scientifique, l’équipe de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) étudie en mer les bélugas du Saint-Laurent et les grands rorquals (rorqual à bosse, rorqual bleu et rorqual commun). Le Bleuvet et le BpJAM quittent chaque matin le port de Tadoussac pour récolter de précieuses informations sur la vie des baleines de l’estuaire du Saint-Laurent.

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