Par Jade-Audrey Lavergne, assistante de recherche au GREMM
Une journée à la Baie-Sainte-Marguerite c’est être éblouie par plusieurs choses : le paysage remarquable du fjord et de ses montagnes, la baie et son sable qui donnent l’impression d’être en vacances et les marées qui modifient le paysage au fur et à mesure qu’elles alternent. Ah, sans oublier, les bélugas!
Survolons le projet!
L’été 2024 fût ma deuxième année en tant qu’assistante de recherche au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Porté par le GREMM en collaboration avec le Réseau d’observation de mammifères marins (ROMM) et Raincoast Conservation Foundation, Fenêtre sur les bélugas est un projet qui compte plusieurs partenaires : la Sépaq, Parcs Canada dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. C’est dans l’un des parcs nationaux de la Sépaq que j’effectue mon travail de terrain : le parc national du Fjord-du-Saguenay, secteur de la Baie-Sainte-Marguerite.
Ce qui rend Fenêtre sur les bélugas particulier, c’est l’angle de vue unique au-dessus des bélugas, comme les données sont récoltées à partir d’un drone. En autres, les images captées par drone permettent d’observer les différents comportements que les bélugas effectuent sous la surface de l’eau. Cet accès inédit à leur quotidien est ce qui m’a marqué le plus et qui continue, encore à ce jour, de m’éblouir. C’est en captant des vidéos par drone que j’ai réalisé l’éventail de comportements qui est uniquement accessible en étant au-dessus d’eux. Ce qui amène à l’activité d’interprétation Fenêtre sur les bélugas : partager ces moments avec le public en direct ou en différé. Avant de partir en vrille, puisque simplement le fait d’écrire sur le travail de terrain rend l’excitation à son comble, je vais plutôt décrire une journée typique (ou plutôt atypiques, comme elles sont toutes uniques) de terrain dans le cadre du projet Fenêtre sur les bélugas à la Baie-Sainte-Marguerite.
Avant de partir, une fois arrivée, de retour au bureau
La semaine précédant une sortie terrain, il faut déjà commencer à évaluer les prévisions météorologiques. Quels jours semblent les meilleurs pour faire voler le drone? Ceci implique de vérifier plusieurs variables, comme le vent, les risques de précipitations ou encore les marées. Ensuite, le lundi matin, il faut valider à nouveau notre plan de match. Les journées sélectionnées sont-elles toujours les plus favorables?
Le jour même, une équipe de deux assistants ou assistantes de recherche arrive au bureau à 8h le matin afin d’évaluer, encore une fois, les conditions météorologiques. Si tout semble propice pour faire une journée de terrain, il faut préparer l’équipement et se diriger vers le site. La préparation de l’équipement nécessite de vérifier l’état du drone et des batteries, qu’il y a suffisamment de feuilles de terrain imprimées, un surplus d’eau, nos lunchs, les batteries des vélos électriques, les clés… Par-dessus tout, s’assurer de ne rien oublier!
Une fois rendu sur le site, nous devons pédaler environ 3 km pour se rendre à la plage de la Baie-Sainte-Marguerite en transportant le matériel dans une petite remorque. C’est à ce moment que le vélo électrique vient à la rescousse! Une fois rendu au site de décollage et d’atterrissage du drone, un premier balayage est effectué afin d’évaluer si les bélugas sont déjà sur place ou s’il faudra les attendre. S’ils sont déjà sur place, le matériel est installé et, après un temps d’attente de 30 minutes, le drone décolle. Ce temps d’attente permet aux bélugas d’être bien « installés » dans la baie et de réduire, ainsi, le risque de dérangement. Malgré que ça simplifie le travail quand les bélugas sont déjà présents, c’est toujours impressionnant de les voir rentrer dans la baie. Ils nagent tellement vite et de façon directionnelle. Une fois rendus dans la baie, c’est là qu’ils commencent à faire, comme j’aime bien le dire, des niaiseries. « Niaiseries », mais pour eux, il s’agit probablement de comportements essentiels à leur survie. Il est arrivé quelques fois qu’en transportant le matériel sur la plage, des splashs sont visibles ou même des vocalises sont entendues, c’est là que tu as hâte d’aller voir de plus « près » ce qui se passe là-bas!
Afin de minimiser le dérangement que le drone peut occasionner sur les bélugas, nous avons un maximum de deux heures pour récolter des données. Pendant ce temps, un ou une pilote s’occupe de faire voler le drone alors qu’un assistant ou une assistante pilote s’occupe de remplir la feuille terrain et faire les relevés. Le rôle d’assistant est essentiel pour accompagner la personne aux commandes et l’aider à se diriger puisque cette dernière est sous une couverture afin de mieux voir l’écran de la manette qui peut être obstruée par la lumière du soleil. Repérer des bélugas à l’œil est un défi et c’est aussi le cas à partir d’un drone! Une fois le travail terminé, il faut tout ramasser et retourner au bureau pour transférer les vidéos et faire la saisie des données.
Le grand défi des journées à Baie Sainte-Marguerite est la fatigue occasionnée par la chaleur et les déplacements, qui s’accumule au fil des semaines. Malgré cela, après seulement deux étés, je me considère chanceuse des observations que j’ai faites. Que ce soit des bélugas qui se mordent entre eux, des mâles qui se donnent des poussées pelviennes exposant par le fait même leur phallus, les paires mère-veau, les demi-breachs…
L’une des observations qui m’a particulièrement épatée est celle d’un petit gris qui poussait avec sa tête un veau positionné sur le dos d’un béluga (potentiellement la mère). Il est revenu à plusieurs reprises, en tentant de le tasser de là et de l’amener plus loin. La potentielle mère revenait toujours au galop pour rester aux côtés du veau. C’était fascinant! Une autre observation coup de cœur fut celle d’un groupe de jeunes mâles, dont un qui me semblait être le trouble-fête. Il mordait les autres et leur donnait des poussées pelviennes. À noter qu’il y a beaucoup d’anthropomorphisme dans mon interprétation, mais il m’a paru qu’un des bélugas en a eu assez et lui a donné, à son tour, un coup de tête. En réponse, le tannant s’est immobilisé et s’est laissé porter par le courant, comme si le choc l’avait « knocked out ». Cette interaction m’a bien fait rire.
Il existe d’autres observations fascinantes et mes collègues pourraient eux aussi en mentionner, mais il faut bien terminer ce carnet de terrain. Ce qui m’amène à la conclusion suivante : il est, selon moi, impossible d’être ennuyé quand tu voles au-dessus des bélugas avec un drone à la Baie-Sainte-Marguerite. C’est à ce moment que tu réalises à quel point tu aimerais avoir accès à leurs pensées pour comprendre ce qu’ils font et pourquoi ils agissent ainsi! Sans oublier à quel point tu es chanceux ou chanceuse de faire ce travail hors du commun!
À noter qu’il est strictement interdit de faire voler des drones au-dessus des mammifères marins au Canada et sur l’ensemble du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Le GREMM détient des permis pour ses activités de recherche délivrés par Pêches et Océans Canada, Parcs Canada et la Sépaq : QUE-LEP-015-2024, SAGMP-2024-45891 et PNFS-2024-006, PNFS-2024-06-07.