Par Alexandre Bernier-Graveline
Comment imaginez-vous le quotidien d’un membre de l’équipe de recherche du GREMM? Les cheveux dans le vent, sur l’eau à observer les baleines du lever au coucher du soleil pendant une chaude journée d’été? On en rêve, nous aussi! Malheureusement, notre agenda et nos conditions de travail sont plutôt à la merci de la météo, ce qui nous amène à être patient, prudent et à l’écoute de la nature. Comme le chanteur Renaud le dit si bien :
« C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme ».
En d’autres termes, ce n’est pas nous qui avons le dernier mot et qui dictons les règles en mer. Mais rassurez-vous, quand les conditions de la mer sont mauvaises, le travail au bureau nous attend toujours et il est aussi important que celui de terrain. Je profite donc de quelques heures d’une journée pluvieuse pour vous dresser un portrait de la saison 2021, et des trois principaux projets qui nous occupent cette année avec les bélugas.
Reconnaitre chaque dos blanc
Le premier et notre plus fidèle projet est celui de photo-identification des bélugas. Ce projet, débuté il y a près de 35 ans, permet d’obtenir chaque été des milliers de clichés de ces baleines blanches. L’«album de famille» ainsi constitué nous permet aujourd’hui de mieux connaitre la population de bélugas du Saint-Laurent, notamment l’utilisation de leur habitat essentiel et leur organisation sociale. Pour ce projet de recherche, nous photographions les deux flancs de chaque béluga rencontré sur l’eau.
En parallèle, nous effectuons des relevés réguliers qui incluent de nombreuses données dont : le point GPS des observations, la composition et descriptions des bélugas de chaque groupe rencontré, ainsi que toute information liée à leur comportement, aux conditions météorologiques, à la présence de bateaux et aux autres espèces de mammifères marins à proximité. Ces données peuvent ensuite être liées au niveau d’exposition des bélugas aux diverses menaces anthropiques, selon les secteurs qu’ils fréquentent, et ainsi mieux comprendre ce qui influence leur rétablissement.
Prendre leurs mensurations
À ce projet s’ajoute, lorsque la houle est faible et la météo collaborative, le projet de photogrammétrie. Ce programme de recherche utilise un drone permettant de capter des images aériennes des bélugas. Ces images peuvent ensuite être utilisées pour mesurer les bélugas et ainsi estimer l’état de leurs réserves en énergie. Une baleine maigre peut être un premier signe qu’elle est malade, par exemple, ou qu’elle peine à s’alimenter. À l’inverse, une baleine avec de belles formes aura tendance à être en meilleure santé. Ces images aériennes collectées simultanément avec la photo-identification facilitent aussi l’appariement des photos des flancs des bélugas, qui peuvent présenter un vrai défi.
Un peu de gras pour la recherche
Le dernier volet de la saison se concentre généralement sur les biopsies. De début septembre à mi-octobre, notre équipe s’affaire, en plus des autres projets, à collecter de tout petits morceaux de peau et de gras sur le dos des bélugas grâce à une technique appelée biopsie. Ce petit échantillon permet entre autres d’analyser la présence de contaminants, mais aussi d’identifier le sexe de l’animal et de détecter des liens familiaux avec d’autres individus connus.
Le fait de travailler simultanément sur ces trois volets (photo-identification, images aériennes et biopsie) nous donne accès à une très grande richesse de données. L’ensemble de ces informations constitue un trésor précieux qui nous dessine peu à peu un portrait précis de l’état de la population et de la santé des individus.
Un travail d'équipe
En parallèle de nos principaux projets, nous avons aussi contribué cet été aux travaux de plusieurs collaborateurs, incluant le déploiement et la récupération d’hydrophones, ou encore la captation de vidéos par drone pour étudier le comportement des bélugas. L’ensemble de nos opérations ont eu lieu cette année dans une très grande zone couvrant le Saguenay, l’estuaire moyen et l’estuaire maritime, délimitée approximativement par la baie Sainte-Marguerite à l’Ouest, les iles de Kamouraska au Sud et l’ile du Bic à l’Est.
Accomplir ces multiples projets et tâches simultanément demande une coordination sans faille, que chaque membre de l’équipe connaisse bien la chorégraphie. Sur l’eau, Le Bleuvet compte généralement quatre personnes. Une première personne photographie les bélugas et effectue les relevés (composition des groupes et description des bélugas, météo, présence de bateaux et de mammifères marins), une seconde personne conduit le bateau et assure des approches respectueuses des bélugas, tout en allant chercher un angle et une distance permettant de bonnes photos. Une troisième personne pilote le drone et enfin un dernier assistant aide aux décollages et atterrissages du drone et à toutes autres tâches nécessitant une deuxième paire d’yeux ou de mains.
Le travail en équipe est un élément essentiel en recherche, tout comme l’optimisme. En effet, malgré le mauvais temps et les autres enjeux des dernières semaines, l’équipe garde le moral, car qui sait ce que demain nous apportera.