Par : Valérie Filion
Je m’appelle Valérie Filion et je travaille depuis 4 ans pour le Réseau d’Observation de Mammifères Marins (ROMM) en tant que cheffe du service d’interprétation à bord du Bella Desgagnés. Il s’agit du navire-cargo de la desserte de la Basse-Côte-Nord. En plus des missions de cargo et traversier, nous recevons des groupes de près de 100 touristes que nous accompagnons durant une semaine à la découverte de la nature et de la culture de la région. Ayant aussi déjà travaillé comme guide-naturaliste dans le parc marin du Saguenay Saint-Laurent et sur divers navires de plongée sous-marine dans le monde, les gens ont tendance à penser que je dois être blasée de voir des baleines. Mais mon observation d’une baleine noire ce 10 août en fin d’après-midi prouve bien le contraire. Je vous raconte.
J’étais avec une collègue et nous discutions de travail. Nous venions de quitter le quai de Port-Menier, à Anticosti. Du coin de l’oeil, on voit un dos noir par la fenêtre de tribord. Ma collègue avise les passagers et passagères avant de partir à l’extérieur pour animer l’observation. Tout en continuant de travailler, j’observe par la fenêtre. Puis je vois un gros souffle en «V» bien clair. La baleine était assez proche pour très bien la voir. Je crois que j’ai sauté jusqu’au plafond en criant :« C’est une baleine noire!!! ».
J’ai tout laissé derrière et j’ai couru dehors aviser ma collègue, qui avait aussi identifié la baleine. Elle me dit : « Appelle à la timonerie ». Je cours à l’intérieur chercher le téléphone. Ils confirment avoir vu la baleine. J’écris à mon équipe sur Messenger pour qu’elle puisse le vivre en direct avec moi. Leur premier réflexe fut : « L’as-tu signalée? ». J’allais le faire, mais j’étais trop excitée par l’observation. Je n’avais jamais si bien vu une baleine noire de ma vie!
Je retourne l’observer à l’extérieur. Elle restait à la surface et tapait avec sa pectorale si particulière et typique des baleines noires. Puis on voit sa queue. Je me suis sentie privilégiée, car le moment semblait durer dans le temps. Malgré que le navire continuait son chemin, on a pu bien l’observer au moins une dizaine de minutes. Ne trouvant pas le numéro pour rejoindre le ministère, je décide d’appeler Urgence Mammifères Marins (UMM) dont le numéro était affiché devant moi. Mais mon cellulaire n’avait plus de réseau. Je pars à la recherche d’un autre cellulaire avant que nous perdions tous le réseau au large. Courant avec trois cellulaires, j’ai réussi à contacter UMM et ils se sont occupés de la signaler. Puis je rentre les données dans Vigie Marine pour m’assurer que tout le monde y ait accès. Puis je pars à la recherche d’une passagère que j’avais vue avec un bon appareil photo. Elle me confirme qu’elle a des photos et me les enverra plus tard. J’écris immédiatement à l’adresse courriel du MPO en leur donnant ma vidéo de piètre qualité, en leur expliquant en détail les comportements observés et en les avisant que j’aurais bientôt de meilleures photos à leur partager.
À la vue de mes allers-retours à la course dans la joie, un passager me dit : « Je n’ai jamais vu un guide tripper encore plus que ses clients ». J’avais envie de lui répondre qu’il n’a pas connu les guides passionnés que je connais. J’ai l’impression que quand on comprend ce qu’on observe, la joie de voir des espèces, individus ou comportements peu communs est aussi grande sinon plus que celle des observations génériques de débutants.
Un collègue vient ensuite m’aviser que la timonerie a signalé la baleine à la garde côtière. Dans mon empressement, le signalement a donc été fait en double, voire en triple. Ça a bien fait rire mon équipe de savoir à quel point en si peu de temps j’avais avisé « la terre entière ».
La joie que cette baleine m’a apportée a duré quelques jours de plus, car le MPO a pu identifier l’individu grâce aux photos de la passagère. Merci baleine 4043, surnommée Martini, pour ce beau moment qui nous rappelle nos privilèges. La nature est une source intarissable d’émerveillement. Martini est un mâle né en 2010, fils d’une baleine connue sous le nom de Ravine, et est un visiteur régulier de la zone nord-ouest d’Anticosti.