Il existe plusieurs endroits dans le monde où il est possible d’observer les cétacés, mais certains d’entre eux sont uniques. L’hiver dernier, j’ai eu la chance de visiter un de ces lieux, aussi exceptionnel que passablement reculé. Il s’agit des iles volcaniques d’Ogasawara au Japon, situées dans l’océan Pacifique, loin de toute terre et au cœur de la houle océanique.
Ma mission était d’y voyager pour recueillir des sons et des images des cétacés qui y vivent afin d’alimenter à la fois mes projets personnels et le matériel pédagogique utilisé pour les formations offertes par le Réseau d’observation de mammifères marins. Je profite donc de cet article pour partager des informations sur ce lieu assez incroyable, mais aussi quelques sons et images que j’ai pu collecter sur place.
Le voyage vers un archipel isolé du reste du monde
Le voyage pour se rendre sur les iles d’Ogasawara n’est pas simple et comporte certains défis. Pour accéder à ce lieu isolé et de haute importance pour les cétacés, il faut d’abord se rendre à Tokyo, une des plus grandes villes au monde. Une fois sur place, il faut ensuite trouver un moyen de naviguer le territoire, la culture et surtout les écriteaux de la capitale japonaise.
Peu importe le moyen de transport, l’objectif final est d’arriver à temps au terminal de croisière Takeshiba qui est situé à l’embouchure d’un des affluents de Tokyo, la rivière Sumida. C’est à cet endroit, au cœur des gratte-ciels, qu’un quai héberge le seul traversier qui effectue, une fois par semaine, le trajet vers l’archipel. Pour que l’aventure débute, il ne reste plus qu’à présenter un ticket, réservé et imprimé d’avance à l’un des agents du terminal, permettant de monter à bord du Ogasawara-Maru.
Quand l’heure du départ arrive et que les passagers se sont installés dans leur cabine, le traversier quitte le port. Il s’engage alors dans un périple de 1000 kilomètres vers le sud qui durera 24 heures. Cette traversée nous transporte du port très achalandé et industrialisé de Tokyo aux iles sauvages et isolées d’Ogasawara. Sur le chemin, la houle, les grands vents et le mal de mer sont au rendez-vous, mais aussi les albatros, les puffins et quelques dos de cétacés pour les téméraires qui, sur le pont, gardent l’œil ouvert.
Un paradis pour l’observation des cétacés
Après une journée complète sur l’eau et quelques observations sporadiques de cétacés, le traversier arrive finalement sur la plus grande ile de l’archipel, Chichijima. C’est dans cette petite localité tropicale et ensoleillée que l’aventure pour documenter ces animaux prend tout son sens. En effet, le village principal de l’ile est paré de souvenirs, de panneaux et de statues à l’effigie des géants des mers. Il y a également une exposition sur les cétacés, puis une multitude de compagnies et de particuliers qui offrent des tours de bateau pour aller faire de l’observation de baleines ou de dauphins. À travers toutes ces activités, une association d’observation des cétacés locale, la Ogasawara Whale Watching Association, gère et régule les sorties en mer, tout en effectuant de la recherche sur ces animaux. Les cétacés constituent sans conteste un élément majeur de l’identité de l’archipel.
En plus d’être présents sur terre, ils sont aussi bien présents sous l’eau. En effet, plusieurs espèces de cétacés fréquentent les eaux locales. Parmi les plus communes, il y a les rorquals à bosse, les cachalots macrocéphales, les dauphins à long bec et les grands dauphins. Les rorquals à bosse sont observés proches des côtes, entre février et avril, pour la reproduction. Les individus feraient partie d’une des populations qui fréquentent le nord du Pacifique pendant le reste de l’année. Les trois autres espèces sont présentes à l’année. Si les grands dauphins peuvent être observés à proximité des iles, les cachalots résident plus au large, là où la profondeur des eaux atteint plus de 1000 m.
Les dauphins à long bec, de leur côté, effectueraient des migrations journalières entre les baies calmes de l’archipel et les eaux agitées, mais riches en proies du large. S’ajoute de plus à cette liste plus de 20 autres espèces qui vivent autour de l’archipel ou qui passent à proximité pour la migration. Parmi celles-ci, il est possible de compter des rorquals, des dauphins, mais aussi des baleines à bec qui fréquenteraient les eaux profondes avoisinantes et la fosse des Mariannes, qui se trouve à une centaine de kilomètres de l’archipel.
J’ai pour ma part eu la chance de passer deux jours sur l’eau et de faire plusieurs belles observations tout en essayant de suivre les explications données par les guides interprètes en japonais. Parmi les plus exceptionnelles, il y a eu les groupes de compétition de rorqual à bosse, où des mâles donnaient des coups de nageoires répétés à la surface de l’eau pour possiblement obtenir l’accès à une femelle. Il y a aussi eu l’observation d’un troupeau de dauphins à long bec qui se reposait dans une des baies protégées de la houle océanique. De plus, durant mon séjour sur place, j’ai aussi réussi à faire une dizaine d’enregistrements de sons sous-marins que j’avais hâte d’écouter et d’analyser de retour à la maison.
Le départ de l’archipel et le traitement des sons
Le voyage de retour est une aventure en soi. Une aventure qui implique de quitter le petit archipel tropical d’Ogasawara pour se rendre dans la vallée du Saint-Laurent qui est encore tapissée d’une belle couverture de neige. À la maison, il est temps de consulter, avec hâte, les fichiers audios enregistrés dans le Pacifique. Les sons enregistrés permettent, entre autres, d’énoncer deux observations intéressantes au sujet des cétacés. La première, c’est que presque tous les fichiers comprennent les chants envoutants des rorquals à bosse comme trame de fond. Ces séquences de sons produites par les mâles dans les contextes de reproduction ont toutes leur raison d’être autour de l’archipel qui est fréquenté pour cette même raison. La deuxième, c’est que les dauphins à long bec s’avèrent très silencieux durant leur repos. En effet, l’enregistrement effectué ne contient aucun clic d’écholocalisation et peu de sifflements ou d’autres vocalises sociales considérant le nombre d’individus observés. Une information corroborée par la littérature scientifique, qui mentionne que cette espèce se sert surtout de sa vision pour naviguer lors des séances de repos. C’est donc avec ces observations, bien du matériel pour des formations et d’autres projets, de même que de beaux souvenirs, que l’aventure aux iles Ogasawara se termine.
Quelques mots clés pour l’observation de baleines en japonais
鯨 – Kujira – Baleine
ザトウクジラ – Zatou Kujira – Rorqual à bosse
マッコウクジラ – Makkō Kujira – Cachalot macrocéphale
イルカ – Iruka – Dauphin
ハシナガイルカ – Hashinaga Iruka – Dauphin à long bec
シロイルカ – Shiro Iruka – Béluga (Dauphin blanc)
ブロー – Burō – Souffle
海 – Umi – Mer
船 – Fune – Bateau
Pour en savoir plus :
- 1982) Tyack, P. et Whitehead, H. Male competition in large groups of wintering humpback whales. (États-Unis) Behaviour 83 : 132 – 154.
- (2003) Ichiki, S. Ecotourism in Ogasawara Islands. (Japon) Global Environmental Research 23 : 15 – 28.
- (2007) Aoki, K., Amano, M., Yoshioka, M., Mori, K., Tokuda, D. et Miyazaki, N. Diel diving behavior of sperm whales off Japan (Japan) Marine Ecology Progress Series 349 : 277 – 287.
- (2019) Lammers, M. O. Spinner Dolphins of Islands and Atolls (États-Unis) Ethology and Behavioral Ecology of Marine Mammals : 369 – 385.
- (2021) Broadening the Search for Whales, Dolphins, and Seabirds around the Mariana Archipelago. (États-Unis) National Oceanic and Atmospheric Association (NOAA).
- (2023) Tsuji, K., Mori, K., Suzuki, M. et Tsumaki, Y. First Sightings of Longman’s Beaked Whale (Indopacetus pacificus) off the Chichijima Islands, Ogasawara (Bonin) Islands, Japan. (Japan) Aquatic Mammals 24 (3) : 282 – 287.
- (2024) Humpback Whale. (États-Unis) National Oceanic and Atmospheric Association (NOAA).
- (2024) Whale penis extrusion & mating practices explained thanks to underwater footage of humpback whale’s penis. (États-Unis) Pacific Whale Foundation.
- (2025) Dolphin Watching and Swimming (Japan) Ministry of Land, Infrastructure, Transport and Tourism.
- (2025) Ogasawara Whale Watching Association. (Japan) Ogasawara Whale Watching Association.
- (2025) Sailing Schedules and Fares. (Japon) Ogasawara Kaiun Co., Ltd.
- (2025) Spinner Dolphin. (États-Unis) National Oceanic and Atmospheric Association (NOAA).
- (2025) クジラ イルカウォッチングウォッチングガイド. (Japon) Ogasawara Whale Watching Association.