Début 2025 a été une période particulièrement intense pour l’observation de grands rorquals dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Absence de glace, individus non reproducteurs, abondance de nourriture et besoins nutritionnels… Que pouvons-nous vraiment retirer de leurs passages?

Le parc marin, bassin privilégié des rorquals ce printemps

Ce qui distingue 2025, ce n’est pas tellement la présence ou non de grands rorquals, mais plutôt la grande quantité d’individus observés en mars et en avril, souvent au même moment, dans le Parc marin du Saguenay–Saint-Laurent (PMSSL). Des regroupements de rorquals bleus qui s’alimentent en surface on même pu être observés!

 

Absence de glace, plus de place?

À propos des rorquals bleus rapportés chaque hiver dans le golfe du Saint-Laurent, La Station de recherche des îles Mingan (MICS) ajoute que les scientifiques connaissent « très peu de choses sur leurs habitudes pendant cette période et sur le pourquoi de leur présence. » « Nous savons qu’il y a toujours eu des grands rorquals présents dans le golfe durant la saison hivernale, nous explique Christophe Ronveaux, chercheur au MICS, ce qu’il y a de nouveau, c’est l’absence des glaces. » Ainsi, les animaux peuvent s’aventurer plus loin dans l’estuaire. Ils sont plus proches des côtes et des régions peuplées : « Les chances d’être observé augmentent alors énormément, […] ce qui demeure inconnu, c’est l’ampleur du phénomène », conclut-il.

Chaque année, Peter Galbraith, chercheur scientifique en océanographie physique, et son équipe du MPO publient un rapport sur les conditions océanographiques. Les résultats préliminaires de 2025 indiquent une température de l’air au-dessus de la moyenne en janvier et février. Le couvert de glace est arrivé tardivement, et les conditions étaient à la limite du niveau pour une année sans glace – une année caractérisée par un couvert de glace qui couvre moins de 25% du golfe du Saint-Laurent. L’estuaire était presque entièrement libre de banquise ou possédait un couvert très mince, ce qui pourrait expliquer que les baleines aient pu remonter plus loin dans le Saint-Laurent et plus proches des côtes – devenant ainsi visible par les observateurs sur les rives.

De l’autre côté du continent, une étude publiée en 2018 au sujet des rorquals à bosse qui passaient l’hiver dans le golfe d’Alaska suggérait que « [d]ans un contexte de réchauffement planétaire, la présence hivernale des rorquals pourrait se prolonger si la période englacée diminue. »

Besoins nutritifs

Peut-être ces individus ne sont-ils pas en mesure de migrer étant donné leur état physiologique, et préfèrent s’alimenter plutôt que de risquer une migration lointaine. Christophe Ronveaux partage: « je n’ai pas de photos récentes pour tous les individus [qui sont venus dans le Saint-Laurent], mais il me semble que leur état de santé était correct. Nous n’avons pas encore mesuré la taille de tous les individus que nous avons photographiés en drone donc je n’ai pas encore d’éléments de comparaison à ce niveau-là. »

En Alaska, une soixantaine de rorquals à bosse s’alimentaient en février 2017 alors que l’espèce migre habituellement dans le sud pour se reproduire. Parmi les explications, les scientifiques mentionnent le stress nutritionnel comme facteur potentiel pour avoir « sauter » leur migration, ou pour raccourcir le temps consacré à la reproduction. Un quart des baleines étaient maigres ou possédaient des parasites. Il est probable que celles-ci n’avaient alors pas assez d’énergie stockée pour effectuer deux migrations océaniques.

On se reproduira une autre fois

Connu depuis 1986, le rorqual bleu B091 a été vu dans l’estuaire le 22 mars 2025. En 2007, le MICS l’avait identifié en plein hiver. Sexuellement mature, pourquoi était-il dans des eaux si loin de potentiels partenaires ? Les rorquals migrent habituellement vers des latitudes plus faibles en hiver pour se reproduire avant de revenir l’été sur leur zone d’alimentation. Certains des rorquals venus dans l’estuaire pourraient être des individus non-reproducteurs comme des juvéniles. Toutefois, une bonne partie de ces individus était sexuellement matures – comme B111, observé le 27 février et qui a au moins 29 ans!

Une autre explication serait que ces individus se soient déjà reproduits, comme des femelles gestantes ou des mâles déjà revenus de leur migration.  Les rorquals sont des espèces capables de se déplacer rapidement à des milliers de kilomètres. Un rorqual commun s’est même rendu de Tadoussac aux Bermudes en moins de 20 jours! Ils possèdent aussi différentes aires d’alimentation, et « connaissent mieux leur environnement que nous », ajoute le Dr. Jory Cabrol, chercheur scientifique pour le Ministère des Pêches et des Océans. Les baleines s’adaptent ou quittent un secteur qui ne leur permet pas de subsister à leurs besoins. Leur venue printanière était peut-être un comportement exploratoire, mais de nombreux individus ont été vus en train de s’alimenter à la surface! La nourriture était donc bien présente ce printemps!

Les baleines en questions - 7/8/2025

Thalia Cohen Bacry

Thalia Cohen Bacry est rédactrice scientifique pour le GREMM après avoir été naturaliste en 2023. Diplômée de UBC, elle a complété une maîtrise en études internationales à l’Université Laval et poursuit un apprentissage dans plusieurs domaines, dont la géographie, les sciences politiques et le comportement animal. Fascinée depuis toujours par la protection de l’environnement, elle a grandi en Savoie, entourée des lacs et des montagnes, avant d’immigrer au Canada et de découvrir des espaces encore plus grands et plus sauvages. Intrépide, curieuse, et persévérante elle aime apprendre, observer, et analyser afin de sensibiliser à la sauvegarde de nos océans et ainsi contribuer à leur protection.

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