Avez-vous déjà pu voir un rorqual bleu? Ce colosse des océans se tient surtout au large des côtes, mais quelques endroits privilégiés, comme le Saint-Laurent, nous offrent parfois une telle apparition. Il est toutefois peu commun, pour les touristes comme pour les scientifiques à travers le monde, d’observer un veau de cette espèce en compagnie de sa mère. Un nouvel article publié dans Endangered Species Research avance que le cycle de naissance et de sevrage des veaux rorquals bleus expliquerait ce faible nombre d’observations.
Mystère de la balaenoptera musculus
C’est un fait, il est rare d’observer des paires mère-veau rorquals bleus. Contrairement à d’autres espèces de cétacés comme la baleine noire de l’Atlantique Nord, le rorqual bleu ne se regroupe pas en eaux côtières pour donner naissance et favoriserait plutôt les eaux profondes au large.
Dans le golfe du Saint-Laurent, 35 veaux ont été aperçus en 45 ans par la Station de recherche des îles Mingan (MICS), soit moins de 2% de toutes les observations de cette espèce dans la région! Sur la côte ouest des États-Unis, des 3660 observations réalisées entre 2005 à 2018, seulement 76 veaux ont été vu, ce qui représente 2,1% des observations.
Une étude qui en regroupe d’autres
L’auteur de l’article, Trevor A. Branch, s’est basé sur les données historiques de la chasse au rorqual bleu, récoltées par les baleiniers au fil des décennies, ainsi que sur d’autres études effectuées sur le long terme. Plusieurs scientifiques impliqués dans la recherche sur l’espèce ont aussi été directement contactés.
Pour être prises en compte, les études devaient inclure une large quantité d’observations, plus de 89 individus, et être effectuées sur plusieurs saisons ou dans plusieurs zones géographiques. C’est grâce à 14 études, basées sur huit populations de rorquals bleus qui fréquentent 12 régions différentes que les proportions des paires mère-veau ont été obtenues. Un projet de grande ampleur! Cinq des 14 études concernent les zones hivernales et les neuf autres se concentrent sur les aires d’alimentations estivales. Sur 11 469 rorquals bleus au total, 339, ou 3,1%, sont des paires mère-veau.
Des chiffres qui ne concordent pas
Peu de naissances et peu de veaux sont observés, ce qui ne concorde pas avec le taux de femelles gestantes dans chacune des populations de rorqual bleu, qui varie entre 31 et 42 % selon les régions. De plus, une femelle rorqual bleu est supposée mettre bas tous les deux à trois ans; un évènement bien plus fréquent que ce que les observations de paires mère-veau ne laissent paraitre. L’auteur de cette méta-analyse propose sept hypothèses pour expliquer cette disparité, dont une faible proportion de femelles matures dans la population, un faible taux de survie chez les veaux (collisions, empêtrements, manque de nutrition ou prédation d’épaulards) ou encore l’évitement de regroupement par les mères et les veaux pour contrer la prédation d’épaulards, alors même que ce sont dans ces endroits que les recherches sont concentrées. La majorité des hypothèses ne possèdent cependant pas assez de données pour être confirmées et sont donc écartées.
Des baleines dispersées
Les rorquals bleus n’ont pas toujours de chemins migratoires communs, et on remarque chez certaines populations une grande dispersion lors de leur migration. Au Chili, les rorquals bleus suivent parfois des chemins à plus de 1000 km d’écart les uns des autres. Aux Açores, 10 individus balisés se sont chacun rendus dans une direction différente lors de leur migration vers des zones d’alimentation estivales. Dans d’autres régions, la migration suit un seul chemin commun. Cette dispersion régulièrement observée des mâles comme des femelles explique pourquoi il est difficile de savoir si les paires mère-veau ne préfèrent pas simplement éviter les agrégations de leur espèce, mais le manque de données ne permet pas de le confirmer.
L’hypothèse du bon moment
L’hypothèse la plus probable selon l’auteur est celle du « bon moment », ou timing, entre la mise bas et le sevrage. À leur départ des aires d’alimentation, les femelles gestantes mettent bas et allaitent leur veau pendant sept mois environ. Ils sont alors sevrés lors de leur retour sur l’aire d’alimentation l’année suivante, et n’accompagnent plus leur mère.
Un rorqual bleu qui allaite son veau
Il est rare de voir une scène d’allaitement chez cette espèce!
Sevrage en bas âge
Pour appuyer cette hypothèse, Trevor A. Branch utilise une étude réalisée sur des paires femelles-veaux observées dans le Golfe de Californie au Mexique à l’hiver et au printemps. Onze femelles ont été revues la même année en Californie mais cette fois-ci non accompagnées de leurs veaux. Le scientifique en conclut que le sevrage s’est passé peu après leur migration, ou alors pendant, jusqu’aux aires d’alimentation estivales.
Somme toute, sept des huit zones d’alimentation concordent avec l’hypothèse car on y remarque un faible taux de paires observées.
Si cette hypothèse est certainement plausible, peu de données additionnelles existent pour la renforcer. De plus, certaines données ne concordent pas avec ce que ce modèle propose.
L’hypothèse du bon moment, offre une bonne explication quant à la petite quantité de paires mère-veau observées, mais elle présente aussi quelques limites. Ce pan mystérieux de la vie des rorquals bleus persistera-t-il encore longtemps?