Saviez-vous qu’une onde sonore peut se propager dans l’eau à une vitesse fulgurante de 5400 kilomètres par heure? Dans les années 1990, une équipe de scientifiques a diffusé un son dans les eaux du sud de l’océan Indien afin de déterminer jusqu’où celui-ci pouvait voyager… et ils arrivaient à le capter jusqu’au large de l’État de Washington! Le son avait parcouru l’ensemble du Pacifique, impressionnant non?
L’animal qui incarne le mieux la puissance du son sous-marin est indéniablement le rorqual bleu, avec son chant profond et grave. Dans des conditions océanographiques favorables, il peut être entendu par d’autres baleines à une distance impressionnante de 1600 km! En ce qui concerne le rorqual commun, son appel peut parcourir jusqu’à 250 km à la surface et 6000 km dans le canal profond. Le rorqual à bosse n’est pas en reste avec un appel pouvant parcourir jusqu’à 6400 km. Évoluant dans un environnement sombre et hostile, les baleines ont développé une ouïe exceptionnelle et comptent parmi les créatures les plus sonores de la planète : pulsations, gémissements, sons, ultrasons, tout y passe!
Un spectacle abasourdissant!
Les résidentes et résidents de Varennes se souviendront longtemps du 7 juin 2020. Ce n’est effectivement pas tous les jours qu’on a la chance d’observer un rorqual à bosse breacher à plusieurs reprises, à quelques mètres de la terre ferme, dans un habitat qui est inhabituel à l’espèce. La rencontre de ces éléments a offert à ce spectacle des allures complètement surréalistes. Malheureusement, la baleine, probablement victime d’une collision avec un navire, a perdu la vie deux jours plus tard. Mais aurait-il été possible d’imaginer une intervention visant à guider cette âme errante vers l’estuaire du Golfe en utilisant des signaux sonores émis par des haut-parleurs sous-marins? La recherche à ce sujet n’en est qu’à ses balbutiements, mais deux occurrences de ce type d’intervention ont été observées avec des espèces de baleines à dents, dont le mécanisme de perception des sons est mieux compris que celui des baleines à fanons.
Selon Jeanne Mérindol, étudiante à la maîtrise en océanographie à l’institut des sciences de la mer à Rimouski (ISMER), cette technique a déjà été testée à quelques reprises. Elle consiste à émettre, à partir d’un bateau, des sons sous-marins propres aux fréquences de communication du cétacé pour éventuellement le guider dans une direction qui lui permettrait d’échapper à une situation périlleuse. Un constat s’impose toutefois : tenter de forcer un animal de plusieurs tonnes à suivre un chemin contre son gré est un exercice très délicat! Pour les baleines à fanons, les probabilités qu’une opération de sauvetage à l’aide de ce type d’intervention connaisse une réussite sont assez minces. En effet, celles-ci ne semblent pas utiliser les sons au même niveau que les animaux plus sociaux et vocaux, comme les épaulards ou les bélugas.
Des épaulards dupés, mais en vie!
Le premier cas, une réussite, s’est déroulé en Norvège en 2017. Un groupe de neuf épaulards coincés dans une baie ont été sauvés d’une mort éventuelle. Des spécialistes ont diffusé des appels d’épaulards en train de se nourrir activement à l’extérieur de la baie pour attirer les cétacés vers les eaux libres, loin des berges. Dès l’émission du son, ceux-ci ont modifié leur trajectoire et sont passés d’un déplacement lent à un déplacement actif directement vers la source du bruit! Considérant la réaction quasi instantanée des mammifères marins, l’opération est considérée comme un succès.
Une technique qui comporte ses failles
Cette technique a été employée dans un deuxième cas similaire, mais ayant abouti à un échec. L’événement s’est produit dans La Seine en mai 2022 : un épaulard femelle s’était égaré dans le fleuve français, et pour l’aider à rejoindre l’embouchure, des scientifiques avaient émis des ultrasons, de la même manière qu’en Norvège. Malheureusement, les réactions aux différentes émissions sonores de l’animal ont été plutôt incohérentes, avec des réponses d’évitement. La création de ces stimuli, dont l’effet attractif devait diriger les épaulards en sûreté, n’a pas porté ses fruits. Triste fin, son corps a été retrouvé quelques jours plus tard. Pourquoi le cétacé n’a-t-il pas réagi favorablement aux appels dans ce cas particulier? Les spécialistes soutiennent que la femelle se trouvait dans un mauvais état de santé général, possiblement atteinte d’une maladie liée à des champignons, en plus d’être sous-alimentée. Cet état de santé dégradé pourrait expliquer son absence de réceptivité aux sons.
Baleines à fanons versus baleines à dents
Que s’est-il donc passé dans le port de Montréal? Dans ce cas-ci, un rorqual à bosse était impliqué. Tel qu’indiqué plus haut, les baleines à fanons (mysticètes) et celles à dents (odontocètes) ne semblent pas utiliser les sons ou percevoir leur environnement de la même manière. Cette divergence provient entre autres de la capacité d’écholocalisation des odontocètes, qui leur permet, à l’aide de clics à haute fréquence, de trouver des proies et de communiquer plus efficacement dans le milieu marin. Quant aux mysticètes, ils produisent plutôt des sons de basse fréquence pour communiquer et naviguer. Leurs vocalisations sont aussi relativement lentes et peu fréquentes, ce qui rend ces baleines moins adaptées aux interventions par l’émission de signaux sous-marins.
De manière générale, les comportements vocaux et le mécanisme de réception des sons des mysticètes est un peu moins compris que les espèces utilisant l’écholocalisation. Contrairement aux humains, les oreilles des cétacés sont isolées du crâne et maintenues en place par des ligaments, ce qui leur permet de réduire la quantité de vibrations et augmenter leur précision auditive. Chez les baleines à dents, c’est la mandibule inférieure qui semble agir comme récepteur des sons. L’audition chez les baleines demeure toutefois un domaine bien peu connu.
En terminant, rappelons que la pollution sonore vient interférer dans la capacité de communication des cétacés : le bruit des navires couvre les « voix » des baleines et constitue un facteur de stress important. Près de nous, plus de 5000 cargos traversent l’estuaire du Saint-Laurent chaque année. Viennent s’ajouter à cela les 13 000 excursions touristiques d’observation de baleines tous les étés. Cette jungle maritime contribue à l’implantation d’une ambiance sonore très énergivore pour nos reines des mers. Dans un contexte où les conditions seraient favorables à la redirection de baleines en lieu sûr, ce bruit excessif pourrait représenter un obstacle à leur sauvetage. À moins que la situation ne découle d’une activité humaine, il est souvent préférable de « laisser la nature suivre son cours » et de faire confiance à l’instinct de survie des baleines!