Par Marie-Maude Rondeau
Cet été, je suis intervenante pour le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Je fais ainsi partie de l’équipe mobile qui couvre la rive nord du Saint-Laurent. Ce que j’aime, c’est le côté imprévisible de mon travail. Je sais quand et où débutent mes journées, mais je ne sais jamais à quel endroit elles se termineront; ça peut être quelque part entre Québec et Kegaska. Je ne sais pas non plus quel évènement se présentera dans la journée et quelle intervention j’aurai à faire. Une carcasse de petit rorqual à échantillonner ? Une baleine à bosse empêtrée à documenter ? Un jeune phoque observé seul sur la plage à relocaliser ?
Tout commence par un appel
En cette journée du 3 septembre 2021, le RQUMM a reçu un signalement pour une carcasse de béluga au large des Escoumins. C’est d’abord un pilote du Saint-Laurent qui aurait observé pour la première fois la carcasse blanche flottant sur l’eau. Une équipe de conservation de Parcs Canada s’est alors rendue jusqu’à la carcasse à bord du bateau de recherche l’Alliance, afin de la remorquer.
Étant une espèce en voie de disparition, le béluga du Saint-Laurent fait l’objet d’une attention particulière, et chaque carcasse est minutieusement examinée pour pouvoir soutirer un maximum d’informations. Malheureusement, plus une carcasse est décomposée, moins elle peut révéler d’informations. Cette fois-ci, le degré de décomposition était trop avancé pour apporter la carcasse jusqu’à la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe pour une nécropsie. Toutefois, nous avons choisi de l’échantillonner: certaines portions spécifiques sont ainsi prélevées pour être analysées en laboratoire.
Faire connaissance avec la carcasse
Je me suis donc rendue jusqu’à la rampe de mise à l’eau, au quai des Pilotes, aux Escoumins, là où l’équipe de Parcs Canada avait sécurisé la carcasse grâce à un cordage attaché à la queue. Accompagnée par Sarah Delisle, une bénévole formée par le RQUMM, nous avons commencé par prendre plusieurs photos, à la recherche de marques, de cicatrices, ou d’encoches qui nous permettraient de pouvoir identifier le béluga.Nous avons constaté qu’il s’agissait d’une femelle. Peut-être s’agit-il d’un individu répertorié dans le catalogue du GREMM? Nos photographies permettent également de rechercher des signes d’intervention humaine: tout signe de lésion ou de blessure est scrupuleusement documenté. En effet, une hélice, un filet ou un cordage de pêche aurait pu laisser une marque et nous donner des indices sur la cause du décès.
Étape importante: nous avons attaché une étiquette au pédoncule caudale. Cette étiquette sert à signaler que cet animal est déjà pris en charge par le RQUMM. Le numéro unique inscrit sur chaque tag permet aussi de suivre les déplacements de la carcasse. Si celle-ci se fait emporter plus loin par la marée ou les courants, nous saurons qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle mortalité, mais bien d’un cas déjà enregistré.
Mensurations et échantillons
Vient le temps de passer aux mesures! Armées d’un mètre-ruban, nous avons mesuré la longueur totale de l’animal, la circonférence à deux endroits ainsi que la longueur du rostre jusqu’au nombril.
Pour la suite de l’échantillonnage, je dois enfiler ma combinaison protectrice. Les baleines et les phoques peuvent en effet être porteurs de zoonoses, des maladies qui se transmettent des animaux à l’homme. C’est donc vêtue d’un habit blanc jetable, de gants, d’une paire de lunettes et d’un masque que je prélève, grâce à un couteau bien aiguisé, un morceau de peau et un morceau de gras. La peau permet notamment d’extraire de l’ADN et de dresser un portrait génétique de l’animal. Le gras, pour sa part, est le site principal d’accumulation de contaminants lipophiles, contribuant à plus de 90% à la charge de contaminants du corps entier chez les espèces de cétacés. Le gras permet donc d’évaluer la condition physique de l’animal, de détecter et de quantifier ces contaminants lipophiles et de détecter des résidus hormonaux.
Un morceau de muscle a également été prélevé pour apporter de l’information sur l’alimentation du béluga et sur la présence de certains contaminants qui s’accumulent plutôt au niveau musculaire. Le foie est un tissu important utilisé en toxicologie : de nombreux contaminants s’y concentrent et peuvent être trouvés, même en l’absence de concentration détectable dans le sang. C’est pourquoi nous en avons aussi prélevé un échantillon.
Pour terminer, la mâchoire inférieure a été retirée et deux biopsies ont été faites. Les dents permettront d’en savoir davantage sur l’âge de l’individu, alors que les biopsies permettront possiblement de faire un appariement avec d’anciennes biopsies faites par l’équipe de recherche du GREMM, alors que l’animal était vivant. Chaque échantillon est bien identifié et mis dans une glacière temporairement avant d’être congelé et envoyé au laboratoire.
Pour la suite du monde
Le lendemain de notre intervention, les gardes de parc du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent ont remorqué la carcasse loin au large. Ainsi, la décomposition de l’animal poursuivra son cours et participera au cycle naturel des fonds marins.
Bien que la nature de mon travail puisse sembler triste, c’est justement pour moi une façon d’honorer la vie de chaque animal. La mort de ce béluga ne sera pas vaine et l’étude de sa carcasse permettra, souhaitons-le, d’en apprendre davantage sur les défis qui attendent cette population, afin d’apporter de meilleures mesures de protection.