Par Jaclyn Aubin
Cet été, j’ai eu l’immense plaisir de passer deux semaines sur la Grande-Île de Kamouraska en compagnie de mes collègues, Dr Valeria Vergara et Marie-Ana Mikus, afin d’étudier les cris de contact des bélugas. Nous étions là pour récolter des données pour plusieurs projets, incluant ma thèse, co-supervisée par Dr Vergara et Dr Dan Mennill de l’Université de Windsor, qui vise à mieux comprendre la structure sociale de la population des bélugas du Saint Laurent.
Tout est parti du programme de photo-identification du GREMM, qui suggère que les bélugas reviennent au même secteur été après été. En effet, plusieurs individus connus reviennent au Saguenay, tandis que d’autres semblent favoriser la rive sud, ou le secteur en amont avoisinant les iles au large de Kamouraska. Ces patrons de fréquentation suggèrent que la population pourrait être composée de plusieurs «communautés» distinctes.
Un cri de contact comme signature vocale
Dans le cadre de mon projet de doctorat, je compte ajouter une dimension acoustique à la photo-identification afin de mieux comprendre ces patrons de fréquentation. Cette analyse est possible grâce aux «cris de contact» des bélugas, des cris que les bélugas utilisent pour (eh oui!) garder le contact dans les eaux troubles du Saint-Laurent. Des recherches précédentes par Dr Vergara et d’autres chercheurs.euses portent à croire que les cris de contact sont uniques à chaque individu, ou à des petits groupes de parenté, un peu comme un prénom ou un nom de famille. Ainsi, si on entend le même cri de contact plusieurs jours de suite au même emplacement, on sait que le même individu, ou que les membres d’une même famille, étaient sur-place à ce moment-là.
Pour enregistrer les cris de contact, nous avons donc placé trois hydrophones dans l’aire de fréquentation estivale des bélugas: à baie Sainte-Marguerite, à Cacouna, et en bordure de la Grande-Île de Kamouraska. Notre hypothèse: chaque site aura son propre répertoire de cris de contact, différent du répertoire des autres sites, portant à croire que chaque site a sa propre communauté de bélugas.
Cependant, ce n’était pas suffisant de simplement enregistrer les animaux à l’aveuglette! Afin de connaitre la taille et la composition des groupes enregistrés, et pour comparer les données acoustiques aux données de photo-identification, il était aussi important d’avoir du personnel sur place pendant la période d’enregistrement. Ainsi, mes collègues et moi avons eu le privilège de passer plusieurs semaines en camping sur la Grande-Île. Pendant notre séjour, nous avons fait des vols de drones, de la photo-identification, et des relevés détaillés des troupeaux dans le secteur.
Le quotidien des bélugas
Nous ne savions pas si ce serait possible de photo-identifier les bélugas depuis la terre, alors nous étions agréablement surprises de voir des bélugas tout près des rochers tous les jours! On voyait souvent des petits groupes de bélugas qui longeaient l’ile en nageant avec le courant, pour ensuite remonter le courant et redescendre le long de l’ile. On avait l’impression de voir passer un défilé de bélugas, chacun prêt pour sa photo!
En réalité, les bélugas étaient bien occupés par leurs activités quotidiennes. Souvent, nous avions l’impression que les bélugas étaient en alimentation; ils plongeaient à dos arqué à répétition, souvent en montrant la queue. Une journée, Marie-Ana a eu la chance de voir, depuis le drone, un groupe de bélugas à la poursuite d’un banc de poissons! Il semble donc que la Grande-Île soit un site important pour l’alimentation des bélugas.
Nous avons aussi eu le plaisir de voir plusieurs mères avec de très jeunes veaux. Malheureusement pour nous, plusieurs de ces mères avaient une belle peau blanche, lisse et sans défauts, et seront donc très difficiles à photo-identifier! Nous espérons que ces femelles ont lancé de beaux cris de contact pendant leur séjour, et seront donc plus faciles à reconnaitre à l’oreille qu’à l’œil!
C’est avec le cœur lourd que j’ai terminé mon séjour sur l’ile. L’énorme quantité de données que nous avons recueillies me gardera certainement occupée jusqu’à la prochaine saison de terrain. Je remercie Marie-Ana Mikus, Charlène Dupasquier du ROMM, et Mathieu Marzelière du GREMM qui ont assuré la collecte de données suite à mon départ, ainsi que tous mes collègues du GREMM et du ROMM qui ont rendu cette magnifique saison de terrain possible! J’ai déjà hâte à la saison de terrain 2022!