Par Mathieu Roy
En tant qu’assistant de recherche, j’ai la chance de passer une partie de mes journées à bord des croisières d’observation de baleines pour photographier trois de nos espèces de cétacés de l’estuaire : le rorqual commun, le rorqual à bosse ainsi que le rorqual bleu. Le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent a le don de toujours nous surprendre et de nous émerveiller. Le 5 aout en matinée, je n’aurais jamais pu prévoir ce que le fleuve avait en réserve pour nous.
8h30. Je prépare mon équipement, enfile mon manteau isolant puis me dirige vers le bateau. Cependant, mes attentes sont assez basses, car un dense brouillard nous attend juste à la sortie de la marina. Le vent est pratiquement inexistant, ce qui signifie généralement que le brouillard n’est pas près de partir. Au moins, aucune vague en vue.
À peine sortis de la marina, un…deux…trois…quatre…cinq…six…SEPT immenses souffles retentissent! Des rorquals communs? des rorquals à bosse? Impossible de le savoir, car l’on ne voit absolument rien. On peut uniquement les entendre! Tout à coup, plus aucun bruit. Les baleines ont plongé. Déçu de ne pas avoir réussi à photographier des baleines qui étaient définitivement très proches, je ne me décourage pas, sachant qu’elles devraient refaire surface bientôt. On attend et on attend, mais aucun signe d’elles. Puisque le rorqual commun, dit le lévrier des mers, peut atteindre des pointes de vitesse de 40 km/h, les baleines peuvent très bien nous avoir glissé entre les doigts. Le capitaine décide alors de se diriger vers l’éboulis, où une éclaircie semble s’être formée dans le brouillard.
Une fois arrivés dans le secteur, plusieurs phoques gris s’y trouvent, mais aucune baleine en vue. Alors que j’observe un gros phoque sur le tribord du bateau, un geyser jaillit derrière moi. Je me retourne et l’immense dorsale d’un rorqual commun se trouve seulement quelques mètres devant moi. Tout à coup, deux autres souffles de l’autre de l’autre côté du bateau, quatre à l’arrière et deux à l’avant! On se retrouve soudainement entourés de neuf bêtes de 40 tonnes, pour un poids total de troupeau de 360 tonnes! Je me dépêche de sortir ma caméra de son caisson pour les photographier, mais réalise rapidement que j’ai un petit problème: les rorquals communs se trouvent trop près pour prendre des photos adéquates pour l’identification. Le plus beau des problèmes qu’on peut avoir dans le domaine! Une fois que les baleines ont plongé, je me dis que ça va être difficile de faire mieux comme observation, surtout considérant la visibilité sous-optimale.
À peine ai-je fini ma pensée que la silhouette d’une baleine à bosse se propulsant complètement hors de l’eau perce le brouillard à environ 1 km de nous. Le capitaine décide donc de se diriger tranquillement vers celle-ci, qui était accompagnée de six autres rorquals à bosse. Une fois arrivés plus près, on attend patiemment qu’elles fassent surface à nouveau. Après quelques minutes, le veau de Gaspar perce la surface à une centaine de mètres du bateau, suivi de sa mère, de Yvon, de H917, de H871, de H943 et puis de NiCa 49.
Les sept baleines prennent quelques respirations et changent subitement de direction. Elles se dirigent directement vers nous. Elles s’approchent, elles s’approchent, puis elles s’approchent encore. Nous nous retrouvons encore une fois entourés d’un troupeau de baleines, mais cette fois-ci, des rorquals à bosse. Lorsque les baleines s’approchent d’elles-mêmes, il est parfois difficile pour les capitaines de conserver la distance de 100 mètres prescrite par les règlements du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Dans ces situations, le règlement sur les activités en mer demande que les capitaines se mettent au neutre pour éviter les accidents. Ils doivent ensuite attendre que les baleines s’éloignent à une distance sécuritaire, avant de s’éloigner à leur tour.
Du bateau j’observe les animaux en transparence sous la surface et contemple leur ampleur. Je suis mystifié par le fait que des animaux aussi immenses puissent à la fois être aussi élégants. Peu de temps après, les baleines continuent tranquillement leur chemin et nous les observons une dernière fois afin d’aller explorer d’autres sites du parc marin.
C’est en décrivant ma sortie que je réalise à quel point je sonne comme un pêcheur qui exagère la taille de ses prises de la journée. Mais c’est aussi à ce moment que je réalise à quel point je suis choyé de faire le travail que je fais.