Il aura étonné, inquiété, ébloui et sensibilisé des millions de personnes alors que le Québec vivait un confinement nouveau. Le rorqual à bosse femelle juvénile (âgé de 2 à 4 ans) qui a séjourné de Québec à Montréal entre le 24 mai et le 9 juin 2020 a créé beaucoup d’émoi. La présence de cette baleine hors de son habitat naturel a généré beaucoup d’intérêt auprès de la population, a soulevé de colossaux enjeux de conservation et a suscité de nombreuses questions dans la communauté scientifique. Un an après le premier signalement de ce voyage inhabituel à la ligne d’urgence pour les mammifères marins (1 877 722-5346), que retenir?
Une mobilisation importante en contexte de pandémie
À la fin mai 2020, le Québec vivait encore la première vague de l’épidémie de COVID-19 et connaissait un confinement unique dans son histoire. C’est dans ce contexte qu’est survenu un premier signalement du rorqual à bosse devant les ponts de Québec par un pêcheur. Rapidement, le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins enclenche des mesures de sensibilisation de la population et des navigateurs pour réduire les risques de collision et doit demander des autorisations spéciales pour envoyer du personnel alors que les déplacements interrégionaux sont interdits. Lorsque le rorqual à bosse atteint Montréal, près d’une centaine de personnes collaborait déjà sur la gestion de sa présence: gardes-côtes, vétérinaires, spécialistes des interventions avec les mammifères marins, spécialistes des rorquals à bosse et policiers ont mis en œuvre des mesures de surveillance, de sensibilisation et de gestion du trafic maritime et de plaisance autour de la baleine. Une importante collaboration des médias a aussi permis de transmettre des informations à jour et claires sur la situation. Toutefois, son séjour n’a pas connu une fin heureuse. La baleine est morte soudainement. Encore plusieurs questions sur cet individu, sa vie, sa mort, mais aussi sur son espèce restent à éclaircir. Pour relire tous les moments-clés de la gestion de la présence de cette baleine en milieu urbain, consultez le dossier.
Des questions parfois étonnantes pour les spécialistes de la part du public
Le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins et ses partenaires d’ici et d’ailleurs sur la planète ont choisi de ne pas tenter d’effaroucher ou de déplacer l’animal pour plusieurs raisons, dont la sécurité de la baleine, mais d’abord et avant tout parce la baleine s’était rendue par elle-même et pouvait repartir d’elle-même sans entrave physique. Chez les grands mammifères, les déplacements forcés ou les relocalisations sont rarement efficaces, et les risques de retour rapide au même endroit sont élevés. En ce sens, les meilleures chances de succès sont de minimiser les risques d’incident pendant le séjour de l’animal et de le laisser repartir à son rythme.
Pour le public, d’observer la baleine était un plaisir, mais aussi une source d’inquiétude. Plusieurs personnes ont proposé des suggestions à l’équipe du Réseau, parfois des questions qui avaient été explorées par les spécialistes, parfois d’autres qui ont fait sourciller les experts. Toutes les suggestions partaient d’un désir de prendre soin de l’animal, mais démontrent l’importance de connecter le public à la nature et aux baleines pour qu’il puisse comprendre les enjeux liés aux mesures qu’il proposait. L’idée de faire une file de krill ou de poisson jusqu’à Tadoussac n’est tout simplement pas envisageable ni possible (habituation de la baleine à l’humain, quantité trop importante de poisson ou krill, capacité de jeuner de la baleine, milieu aquatique qui ne permet pas de faire une «file», etc.). Mettre une clôture dans un milieu naturel n’est pas souhaitable, en plus d’être problématique pour toutes les autres espèces et la navigation. Vu la taille de la baleine, il n’était pas envisageable d’utiliser un hélicoptère pour la déplacer. Remorquer en bateau la baleine n’est pas non plus une bonne idée, compte tenu des risques pour l’animal. Ce qui aurait pu être fait, mais non sans risque, aurait été de suivre la baleine avec une balise à ventouse, ce qui aurait pu réduire un peu plus les risques de collision sans les rendre nul. Plusieurs autres suggestions ont été proposées à Robert Michaud, coordonnateur du RQUMM dans cette discussion animée par le Cœur des sciences de Montréal. Vous pouvez entendre ses réponses ici.
Un cas (pas si) unique
Depuis le voyage du rorqual à bosse vers la source du Saint-Laurent, plusieurs autres cas de baleines égarées ou visitant un estuaire ont fait les manchettes partout sur la planète. Un béluga s’est retrouvé en Californie, à des milliers de kilomètres de sa maison, un petit rorqual s’est coincé dans la Tamise, en Angleterre, un rorqual commun s’est échoué dans la rivière Dee au pays de Galles, trois rorquals à bosse ont remonté une rivière en Australie, une baleine grise dans la Méditerranée, etc.
Dans quelques cas, des techniques pour repousser les baleines ont été tentées, sans succès. La majorité des cas se sont soldés par la mort de l’animal. Qu’est-ce qui pousse les baleines dans ces explorations? La plupart du temps, les animaux en escapade sont de jeunes individus, peut-être inexpérimentés ou à la recherche d’un nouveau territoire, possiblement déjà mal en point. Pour en savoir plus sur ce qui peut amener une baleine en exploration, consultez cet article.
La conservation en héritage?
Est-ce que le périple du rorqual à bosse a amené le public à mieux comprendre les enjeux de cohabitation dans le Saint-Laurent, comme la difficile conciliation du trafic maritime avec les activités essentielles des baleines? Est-ce que plusieurs personnes prennent un peu plus d’actions pour minimiser leur impact sur l’environnement depuis qu’ils ont assisté aux sauts de la baleine, afin d’améliorer l’écosystème de ses congénères? Verrons-nous au cours des prochaines années une augmentation d’étudiant.es en biologie marine? L’héritage du rorqual à bosse reste encore à mesurer, mais déjà, il se fait sentir dans l’engouement que les baleines suscitent au Québec.