Alors que les grosses baleines se font désirer dans le Saint-Laurent, les petits rorquals en profitent pour prendre le devant de la scène. Ils sont partout, cette semaine, et leur palette de comportements émerveille les observateurs.
Le 16 mai, depuis le navire-cargo Bella Desgagnés, qui ravitaille les localités isolées de la Basse-Côte-Nord et de l’ile d’Anticosti, un membre de l’équipage repère un petit rorqual en alimentation de surface dans le chenal d’entrée Est de Havre-Saint-Pierre. Le lendemain, c’est entre Sept-Îles et l’ile d’Anticosti qu’un autre petit rorqual approche le bateau. «Il faisait du marsouinage dans les vagues en suivant le navire», rapporte l’observatrice. Ce qu’on nomme «marsouinage» est une forme de nage rasant la surface; une technique de déplacement généralement observée chez les marsouins communs, d’où son nom.
Ce petit rorqual utilisait-il le courant provoqué pour faciliter son déplacement, espérait-il en profiter pour rafler quelques belles prises alimentaires, ou encore s’amusait-il des ondulations et des remous provoqués par le passage du bateau? Il n’est en tous cas pas le seul à interagir avec les vagues des bateaux. Alors que la journée du 19 mai touche à sa fin, le photographe Renaud Pintiaux s’amuse de voir un petit rorqual breacher à plusieurs reprises dans le sillage d’un cargo, en face de la plage des Bergeronnes. Malgré leur poids relativement imposant (de 6 à 8 tonnes), le plus petit membre de la famille des rorquals est une baleine acrobatique, capable de sortir entièrement son corps de l’eau.
Le 20 mai, une partie de l’équipe du GREMM s’enthousiasme. Devant le Centre d’interprétation des mammifères marins, à Tadoussac, un petit rorqual s’alimente en surface. Régulièrement, l’animal sort de l’eau bouche grande ouverte. La gorge, rougie par l’afflux sanguin, contraste avec le bleu sombre de l’eau et les flancs noirs de la baleine. Quel spectacle!
Encore des globicéphales!
Certains prennent la mer à la rencontre des cétacés. Le 19 mai, René Roy s’élance sur l’eau, entre Les Méchins et Franquelin. Résultat: «Aucun grand rorqual, beaucoup d’oiseaux marins, un petit rorqual avec une dorsale déchiquetée très particulière, et encore un groupe d’une vingtaine de globicéphales», résume-t-il. Le cétologue amateur se demande s’il s’agit du même groupe que celui observé 12 jours plus tôt à 24 milles marins de là. Après vérification auprès d’Elizabeth Zwamborn, du Cape Breton Pilot Whales project, il s’agit visiblement d’un autre groupe, dont la composition diffère du premier.
Au large de Sept-Îles, Jacques Gélineau retrouve une baleine familière: «Je l’ai surnommée «La petite fleur», à cause d’un dessin que forment les cicatrices de balanes sur sa caudale. Depuis 2013, la première année où je l’ai repérée, ce rorqual à bosse revient tous les ans et il est pas mal toujours dans les premières à arriver. » Mis à part cette rencontre, pas de gros souffles à l’horizon.
Le buffet est prêt, on attend les grosses baleines
«Mais où sont les grosses baleines?», se questionnent en chœur les observateurs, frustrés de ne pas encore avoir entendu un souffle monumental de rorqual bleu, vu le dos interminable d’un rorqual commun ou surpris une caudale de rorqual à bosse. «C’est très tranquille», se désole une observatrice. Les habitués comparent avec les années précédentes, soulignant que d’habitude, en cette saison, on a plus d’action, mais finissent par admettre que chaque année est différente.
Pourtant, le repas est servi dans le Saint-Laurent! Nos observateurs nous rapportent que le capelan roule fort à Gallix, à Sept-Îles et à L’Isle-aux-Coudres. Au large des Escoumins, les capitaines du bateau des pilotes l’affirment: «De la bouffe, on en voit partout: capelan, crevettes… ça grouille. Tellement, que j’ai vu une plie venir s’alimenter à la surface une nuit.» Malgré tout, ils n’ont pour le moment vu que quelques troupeaux de bélugas croisant au large de Cap-aux-Oies et des petits rorquals de-ci, de-là. «Il n’y a même plus de phoques, c’est bien tranquille!»
Le 12 mai, au petit matin, il y a de l’action devant l’anse de la Grosse-Roche, au nord-est de la pointe de l’Île aux Coudres. Une demi-douzaine de bélugas s’agite, en frénésie de dégustation. «Ils suivaient un banc de capelan, je présume, poussé par le flux de la marée», souligne notre observateur.
Cette absence de grands souffles est frustrante, mais pas surprenante: les baleines sont peut-être occupées ailleurs, attablées dans un coin d’océan riche en nourriture. Elles auront bien le temps de venir dans le cul-de-sac marin que représente le Saint-Laurent pour continuer leur repas. Le 13 mai, les équipes de surveillance aérienne de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) dénombrent 68 rorquals à bosse, 23 petits rorquals, 13 rorquals communs et 3 rorquals boréaux au large de Cape Cod, Massachusetts. Le Saint-Laurent attendra quelques bouchées encore !