C’est sur la banquise et par l’étude de carcasses fraîches de cette espèce arctique que la découverte a eu lieu. Cet organe long de près de quatre mètres, accroché au palais, sert à dissiper la chaleur corporelle de cette baleine qui travaille fort pour s’adapter à l’eau froide et s’alimenter. Il s’agit d’un corps caverneux qui se gonfle sous l’afflux du sang…
L’étude, publiée dans The Anatomical Record à la mi-février 2013, menée par Thomas Ford et deux autres biologistes états-uniens, révèle la présence et le rôle de cet organe très particulier. Nommé corps caverneux maxillaire (dit CCM pour corpus cavernosum maxillaris), cet organe bien visible dans la bouche de la baleine est attaché au milieu du palais. D’une longueur de quatre mètres environ pour une dizaine de centimètres de large et d’épaisseur, sa très forte vascularisation lui donne la capacité de se gonfler de sang, un peu à la manière d’une éponge ou d’un pénis.
Ouvrir la bouche pour avoir moins chaud
Les observations des scientifiques les amènent à affirmer que, pour la baleine boréale (Balaena mysticetus), cet organe permet de réduire la chaleur du corps et de son cerveau quand elle devient excessive. Cela peut sembler étonnant à première vue, car cette baleine à fanons de grande taille (de 14 à 20 mètres pour 75 à 100 tonnes) vit dans les eaux glaciales de l’Arctique et doit s’adapter au froid en permanence pour survivre. Mais avec un corps rond et dodu, recouvert d’une épaisseur de gras isolant de plus de trente centimètres, cette baleine doit produire beaucoup d’énergie pour se déplacer, d’autant que sa nageoire caudale, assurant la propulsion comme chez tous les cétacés, est plutôt de petite taille.
C’est donc pendant la capture de sa nourriture que la thermorégulation opère. En effet, la baleine boréale est une « écrémeuse » des mers qui, pour se nourrir, avance lentement sous la surface, la gueule ouverte, afin de récolter toutes les petites proies (de type zooplancton) qui se trouvent sur sa trajectoire. Ainsi, un flot d’eau froide constant circule à l’intérieur de sa bouche et autour du corps caverneux maxillaire qui agit pour diminuer la température corporelle et du cerveau de la baleine boréale.
Banquise, chasseurs et infrarouges
Au début des années 1990, cet organe et l’hypothèse de sa fonction avaient déjà été décrits dans la littérature scientifique chez la baleine noire de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis). Cette fois-ci, les scientifiques ont travaillé à Barrow, en Alaska, en collaboration avec la communauté des Inupiats qui capture encore la baleine boréale, et d’autres cétacés, avec un permis de chasse de subsistance.
Ces chasseurs connaissent depuis longtemps cet organe et cet afflux de sang qui intervient lorsqu’ils découpent la tête de l’animal abattu. Ils ont invité les scientifiques à venir sur place pour en savoir plus. Sur la banquise, ceux-ci ont pu observer et disséquer sept carcasses de baleines boréales capturées, ceci sur une période de quatre ans (de 1990 à 1993). La fraîcheur des carcasses a permis de mettre en évidence avec une caméra infrarouge les pertes de chaleur dans la bouche et les effets radiants de réchauffement ou de refroidissement autour de l’organe.