Cette baleine voyage dans le Pacifique Nord et émet dans une gamme de fréquences bizarre. Ce qui l’isolerait des autres espèces de grandes baleines qui ne pourraient communiquer avec elle. Des médias et des artistes ont été touchés par l’idée de solitude qui entourerait cet animal qu’on n’a jamais vu et seulement entendu. Des documentaristes motivés par une quête de sens préparent une expédition pour la trouver. Mais des scientifiques apportent maintenant leurs éclairages: cette baleine devenue légendaire ne serait pas si seule qu’on veut bien le croire.
Tout ce qu’on sait de cette baleine provient d’enregistrements de ses vocalises, effectués sur une douzaine d’années alors que la Marine des États-Unis écoutait les océans pour détecter les sous-marins soviétiques. La baleine 52 émet des sons d’une fréquence proche de 52 hertz, une gamme plus haute que celle des rorquals bleus qui se situe entre 15 et 20 hertz. D’après les premiers commentaires scientifiques repris par les médias, cette baleine avait été qualifiée de solitaire, étant donné qu’elle semblait ne pas être entendue des autres grands cétacés qui ne pouvaient donc pas lui répondre. Dans le Pacifique Nord, elle se déplace et semble même migrer. À part ça, rien d’autre.
Chez des artistes, la résonance de nos questions existentielles
Depuis quatre ans, le mystère autour de cette baleine suscite intérêt et fascination dans les médias populaires et chez des artistes. Ces derniers s’interrogent sur la notion de solitude et de tristesse qu’ils associent à cette baleine. Une pièce de théâtre, des nouvelles, un livre avec CD audio pour enfants, un court documentaire comique et satirique, un compte Twitter ont été créés aux États-Unis et en Europe.
En début d’année 2015, deux documentaristes étatsuniens, Adrian Grenier et Josh Zeman, ont démarré une campagne de sociofinancement pour obtenir les ressources nécessaires à la réalisation d’un documentaire et d’une expédition scientifique: ils veulent partir à la recherche de 52, la trouver, identifier son espèce et l’équiper d’une balise pour suivre ses déplacements. En mars, leur campagne a été finalement bouclée, avec un don substantiel de dernière minute de la part de l’acteur Leonardo DiCaprio.
C’est une quête qui anime ces documentaristes, une quête de sens qui existe chez chacun de nous, expliquent-ils. Pour eux, le sort de cette baleine entre en résonance avec les questions existentielles des humains qui tournent autour de l’isolement, de la solitude et du fait d’être incompris des autres. «La baleine la plus solitaire a besoin d’avoir des amis», tel est le slogan qui accompagne leur campagne de financement. Comme ils ont bien conscience qu’ils risquent de parcourir de nombreux milles marins dans l’immense océan sans trouver la baleine 52, ils annoncent vouloir aussi travailler sur le bruit des océans causés par les activités humaines et contribuer à diminuer cette pollution qui pèse sur le mode de vie des mammifères marins. Le départ de leur expédition est prévu pour l’automne 2015.
Un éclairage scientifique remet tout en perspective
C’est en avril dernier qu’un commentaire critique émane d’un scientifique, Christopher Clark de Cornell University dans l’État de New York, publié dans un reportage de la BBC. Ce spécialiste de l’acoustique des mammifères marins a enregistré les vocalises de la baleine 52 hertz en 1993 et affirme que, contrairement aux apparences, elles ne sont pas si anormales. D’après des études, des groupes de baleines vivant dans des régions particulières utilisent des dialectes, et de nombreuses vocalises idiosyncrasiques existent (des vocalises émises par des individus qui réagissent et s’adaptent, par exemple dans le bruit ambiant).
Christopher Clark et d’autres scientifiques rejettent l’hypothèse selon laquelle 52 ne peut pas être entendue par les rorquals bleus qui émettent de plus basses fréquences. Selon eux, les patrons de vocalises de 52 se rapprochent beaucoup de ceux des rorquals bleus. Non seulement ils peuvent être entendus par les rorquals bleus, mais aussi par les rorquals communs et les rorquals à bosse. Toutes ces baleines ne sont pas sourdes, c’est simplement 52 qui est un peu bizarre, explique le chercheur.
La baleine 52 n’a pas été entendue depuis 2012, selon les scientifiques qui suivent de près le dossier de ses enregistrements. Ceux-ci mentionnent d’ailleurs que ses vocalises sont progressivement devenues plus graves et pourraient se situer autour de 47 hertz de nos jours. C’est d’ailleurs le cas des rorquals bleus des côtes californiennes qui émettent sur des tonalités d’un tiers plus basses que celles des années 1960, selon une étude publiée en 2009.
Si les scientifiques s’accordent à penser que la baleine 52 pourrait bien être un rorqual bleu, d’après ses vocalises et ses patrons de déplacements dans l’océan, ils n’écartent pas l’hypothèse qu’elle pourrait être un hybride entre un rorqual bleu et un rorqual commun. Si de tels hybrides ont été observés et pris en photo, leurs vocalises n’ont jamais été enregistrées. De quoi alimenter à nouveau la quête?
Sources
Sur le site du New York Times (en anglais seulement):
Filmmakers Set Sights on ’52’, the World’s Loneliest Whale
Sur le site de la BBC (en anglais seulement):
The World’s loneliest whale may not be alone after all
Pour en savoir plus
Sur le site du Huffington Post (en anglais seulement):
Adrian Grenier’s Kickstarter To Find The ‘Loneliest Whale In The World’ Gets Saved At The Last Minute By Leonardo DiCaprio
Sur le site du Smithsonian Magazine (en anglais seulement):
Maybe the World’s Loneliest Whale Isn’t So Isolated, After All
Sur le site de Inter-Research. Endangered Species Research (en anglais seulement):
Worldwide decline in tonal frequencies of blue whale songs