Le mois de novembre est propice pour travailler à l’ordinateur et dresser un portrait de mes observations personnelles de la dernière saison. J’ai le plaisir de vous le partager pour vous ouvrir une très petite fenêtre sur ma passion et la présence de ces magnifiques animaux dans notre Saint-Laurent. Ce bilan porte sur quatre mois d’observation dans l’estuaire maritime du Saint-Laurent et sur la pointe Gaspésienne entre le 9 mai et le 20 septembre 2018. Il va sans dire que l’ensemble de ces observations et données de 2018 sont récoltées et transmises à la Station de recherche des iles Mingan (MICS), selon leur protocole. Les constats présentés ici sont les miens et ne correspondent pas nécessairement à ceux d’autres observateurs. C’est un portrait parmi d’autres, qui ne se veut pas scientifique.
Comme vous vous en doutez bien, je suis un amoureux de la mer et c’est un prérequis pour pratiquer la cétologie, même en loisir. Repérer ces animaux sur l’eau afin de les documenter est loin d’être facile. Patience, persévérance et chance sont de mises, parce qu’il y a plusieurs aires d’alimentation potentielles sur cette grande surface. Comme j’aime bien le répéter, «la mer est grande».
Je suis sorti en mer à 28 reprises cette année pour y passer une moyenne de huit heures par jour. En 19 sorties dans l’estuaire et neuf en Gaspésie, j’ai parcouru 1600 milles nautiques, ce qui représente près de 3000 km terrestres.
Dans six de ces 28 sorties, je n’ai observé aucun grand rorqual. Même en parcourant une moyenne de 80 milles/jour, j’ai fait «chou blanc».
Donc, en 22 sorties plus profitables, j’ai observé 85 rorquals bleus, dont 63 individus différents, 44 rorquals à bosse dont 25 individus différents, et seulement 11 rorquals communs.
J’ai rencontré tous ces rorquals bleus, à une exception près, entre Pointe-des-Monts et Longue-Rive, dans l’estuaire, et tous les rorquals à bosse sur la péninsule Gaspésienne. Je ne suis jamais entré dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Certaines journées, j’ai photographié une dizaine de rorquals à bosse et d’autres trois ou quatre. Il m’est arrivé de croiser de 10 à 16 rorquals bleus différents en une journée et d’autres fois de n’en croiser que de deux à cinq individus. Comme je le dis aussi souvent, «les baleines attirent les baleines», parce qu’elles semblent, comme nous, apprécier la compagnie.
Le constat principal que je peux tirer de mes observations de rorquals à bosse et de rorquals bleus cette année est que de nombreux nouveaux individus étaient présents. Pour 25 rorquals à bosses observés, j’en ai compté 15 nouveaux qui ne figurent pas dans le catalogue du MICS. J’ai quand même eu la chance de revoir pour la onzième année consécutive la femelle H626 BBR (Gaspar), ainsi que quelques vieilles connaissances comme Tic Tac Toe, Irisept et Paloma.
J’ai documenté 17 nouveaux individus rorquals bleus, incluant les 5 baleineaux. L’observation de cinq paires mère-veau rorquals bleus est sans contredit ma plus agréable surprise de l’année. La dernière observation documentée de baleineau bleu dans le golfe remontait à 2008. Les cinq baleineaux ont été observés entre le 19 mai (celui de B329) et le 30 aout (celui de B275). La différence de taille entre les baleineaux observé au début de la saison et à la fin de la saison est notable! Les mères étaient toutes maigres, signe que d’engraisser ces gloutons débite lourdement leur réserve de graisse.
La journée du 16 septembre fut la plus prolifique, alors que j’ai rencontré 16 rorquals bleus dans un espace d’au plus cinq milles nautiques carrés. Dans ce groupe, il y avait B057, une femelle connue sur le nom de Natalus depuis longtemps par la Station, qui était particulièrement émaciée. Sa maigreur pourrait être un signe qu’elle a, elle aussi, sevré un baleineau dans les jours précédents. Il y avait aussi B197 Pléiades, amaigrie, avec son baleineau, ainsi que trois nouveaux individus pour le catalogue du MICS.
Le 21 juillet, j’ai photographié B155, connu sous le nom de Nubbin, qui n’avait pas été revu depuis 34 ans. Il serait surprenant qu’il ne soit pas revenu plus souvent. L’absence d’observation témoigne peut-être de notre faible échantillonnage pour ces animaux évoluant à l’échelle océanique.
J’ai commencé à voir des paires (mâle-femelle) de rorquals bleus à partir de la mi-aout et surtout en septembre, comme les années précédentes.
Certains individus ont croisé ma route à plusieurs reprises, comme Grisard, que j’ai observé le 19 mai au large de Matane et revu dans le même secteur le 5 aout. De même, j’ai rencontré un nouvel individu rorqual bleu le 19 mai au large de Matane aussi et revu dans le même secteur le 18 aout et le 20 septembre. Il a surement trouvé ce secteur intéressant pour y demeurer quatre mois ou y être revenu trois fois durant la saison. J’ai aussi pu revoir de vieilles connaissances comme Chameau, Exupery, Crawler, Jaw-Breaker ainsi que Phoenix, entre autres.
Pour les rorquals communs, cela ne peut qu’être l’effet du hasard, mais je n’ai observé qu’une dizaine d’individus cette saison, qui ne sont d’ailleurs pas encore identifiés. Ils ont tous été rencontrés de façon isolée, comme s’ils étaient en déplacement.
J’ai pu observer des bélugas en six sorties dans l’estuaire, mais aucun dauphin à flancs blancs pour moi cette année. Par contre, mon coup de cœur fut certainement la vingtaine de globicéphales noirs rencontrés au large de Matane le 19 mai.
Le trafic maritime dans l’estuaire est une menace très importante pour les rorquals bleus, en termes de bruit et de risques de collision. Comme vous pouvez le constater, les rorquals bleus sont nombreux à s’alimenter dans cet entonnoir que constitue l’estuaire maritime, et le nombre de navires passant par là est très élevé et en augmentation. Malheureusement, les baleines apprécient particulièrement la profondeur du canal de la voie maritime. J’ai souvent dû me déplacer lors de mes manœuvres autour des bleues, pour céder le passage aux cargos.
Il va s’en dire que je trouve cette activité passionnante et collectionner ces données pour les scientifiques est ma façon de joindre l’utile à l’agréable. Comme le veut ma boutade : «J’aime bien perdre mon temps utilement tout en m’amusant».
Comme les ornithologues amateurs, je tiens une liste saisonnière et une à vie (Life list) de mes observations. Cette compilation est faite pour mon plaisir uniquement, mais elle me permet aussi d’alimenter ma motivation.
À la fin de cette 18e saison d’engagement dans cette activité, j’y trouve de plus en plus de plaisir et cela m’a permis de colliger avec les années 210 rorquals bleus, 105 rorquals à bosse et 110 rorquals communs, tous différents.
Merci à vous tous de me lire. Bon hiver et à la saison prochaine!