Par Maureen Jouglain

Une étude parue en juillet 2017 dans la revue Endangered Species Research présente les premiers enregistrements des mouvements migratoires et des destinations hivernales des rorquals bleus de l’Atlantique Nord et ouvre des pistes pour la désignation de leurs habitats essentiels. L’étude a été réalisée par Véronique Lesage, chercheuse sur les espèces en péril à l’Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada, et son équipe, et par Richard Sears, de la Station de recherche des iles Mingan. Ils effectuent le suivi de cette population dans l’espoir d’en apprendre davantage sur leurs aires de distribution. Afin de protéger la baleine bleue, désignée « espèce en voie de disparition » depuis 2002 par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), la connaissance des aires essentielles doit être raffinée pour pouvoir établir un plan de protection pour l’espèce.

Les défis de la recherche

Bien qu’elles fassent partie des plus grands animaux ayant jamais existé sur Terre, on ne connait presque rien sur les baleines bleues. Il est vrai qu’étudier une espèce animale qui passe moins de 5% de son temps en surface comporte son lot de difficultés. Les biologistes peuvent passer des jours sur l’eau sans voir une baleine bleue et les rencontres ne durent parfois que quelques minutes. C’est dans ce contexte que des équipes de chercheurs sillonnent chaque été le Saint-Laurent à la recherche de baleines bleues. Dans le cadre de l’étude publiée récemment dans la revue Endangered Species Research, 24 individus au total ont été suivis entre 2010 et 2014 à l’aide d’une balise satellite ancrée au niveau de la nageoire dorsale. Si réussir à poser l’émetteur est déjà laborieux, son maintien est de loin le plus gros défi, la majorité des balises se décrochant au bout de quelques semaines. La quête de résultats demande beaucoup de patience à ceux qui la mène.

Après sept ans de suivi, des résultats émergent

Deux femelles marquées à des années différentes ont permis d’enregistrer des mouvements migratoires et des destinations hivernales. La première, Symphonie (B244), a été une informatrice hors pair pour les chercheurs, car ses mouvements ont pu être enregistrés sur plusieurs mois. L’émetteur indique qu’elle a parcouru 11 918 km en sept mois, une distance difficilement imaginable de notre perspective. Lors de son trajet, elle a descendu l’estuaire du Saint-Laurent, puis a longé les côtes étatsuniennes jusqu’en Caroline du Sud. Elle a également passé un bon moment le long d’une chaine de montagnes sous-marine, située dans l’Atlantique. D’une profondeur de 5 km, ce secteur intéresse fortement les biologistes, car de nombreuses espèces semblent le fréquenter. Plusieurs études témoignent du passage de rorquals à bosse, de cachalots et même de macareux dans ce secteur: «il s’agit possiblement d’un point d’intérêt à travers la planète» commente Richard Sears. Or, on ne connait pratiquement rien de ces régions. Ces données viennent repenser la vision classique du cycle migratoire des mysticètes qui veut que ces espèces migratrices alternent entre des périodes d’alimentation suivies de longs jeûnes alors qu’elles transitent de leur site d’alimentation à leur site de reproduction. En réalité, il est fort probable qu’elles rencontrent des zones hautement productives sur leur route, comme les monts sous-marins de l’Atlantique, et s’y arrêtent pour se nourrir durant l’hiver et le printemps.

Les déplacements de la deuxième femelle, Pleiades (B197), enregistrés pendant près de trois mois, font écho à ceux de Symphonie. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour ces chercheurs qui espèrent pouvoir tirer de ces résultats des patrons de migration plus généraux. De plus, le fait que ce soit deux femelles matures est d’autant plus intéressant qu’elles ont sans doute visité durant la période où elles ont été suivies leurs aires de reproduction. En entrevue à Radio-Canada, Véronique Lesage explique que pour une population comme celle des baleines bleues de l’Atlantique Nord ayant des problèmes de reproduction, ces informations sont précieuses et des recherches plus approfondies pourront aider à comprendre s’il y a des problématiques spécifiques à ces zones-là.

Quant aux autres individus marqués, ils nous livrent tout de même plusieurs informations concernant l’utilisation de l’habitat au niveau de l’estuaire et du golfe à l’automne. En combinant les résultats obtenus par les études d’observation aux indices livrés par les balises, de nouveaux sites d’alimentation se distinguent : les eaux au large de la péninsule gaspésienne et de la baie des Chaleurs, ainsi que plusieurs secteurs situés à la limite du plateau continental, au large de la Nouvelle-Écosse. Ces données correspondent aux aires où de fortes concentrations de krill sont retrouvées. Ces résultats sont significatifs puisque la baleine bleue est connue pour se nourrir presque exclusivement de ces petits crustacés.

Les efforts doivent se poursuivre

Bien que l’échantillon de la population soit faible, les informations obtenues permettent d’orienter les futures recherches vers les aires identifiées et d’ainsi mieux comprendre leur rôle et importance dans le cycle annuel des baleines bleues. Elles permettent surtout de porter un regard à bien plus grande échelle sur l’étendue de leur aire de répartition. Pour Richard Sears, il s’agit d’un défi de taille pour des êtres humains que de s’imaginer l’utilisation d’un si vaste territoire : «leur passage dans les eaux du Saint-Laurent représente une toute petite partie de leur vie, il est fort possible que leur habitat comprenne l’ensemble du nord de l’Atlantique». Ces éléments rendent beaucoup plus ardue l’élaboration d’un plan de protection. Les efforts déployés doivent donc être maintenus et une implication internationale sera nécessaire pour mieux caractériser les aires d’usage récurrent de ces géantes bleues.

Actualité - 3/8/2017

Collaboration Spéciale

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