Delphi
Béluga
Adopté par Philippe Couillard, premier ministre du Québec
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Numéro d’identification
DL2505
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Sexe
Inconnu
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Naissance
Vers 2000
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Connu depuis
2006
Ses traits distinctifs
Delphi est facilement identifiable du flanc gauche : on y trouve une grande tache grise et des points blancs qui recouvrent complètement sa crête dorsale et qui se poursuit sur son flanc.
Son histoire
La première rencontre avec Delphi remonte à 2006. Il était alors un très jeune béluga gris foncé. Nous ne pouvons pas déterminer avec précision son âge. Le changement de couleur chez les bélugas, soit le passage du gris au blanc, survient entre l’âge de 12 à 16 ans. Delphi serait donc né autour de 2000.
Sa petite taille et sa présence régulière dans des troupeaux de femelles et de jeunes nous laissent croire que Delphi est une femelle et qu’elle appartient à la communauté du Saguenay. Dans l’aire de répartition estivale, les femelles forment de grandes communautés dans lesquelles elles s’occupent des nouveau-nés et des jeunes. Ces communautés sont attachées à des territoires traditionnels et il y a peu d’échanges entre elles.
On compte parmi ses compagnes Miss Frontenac, Athéna, Blanche et Céline. Les associations entre femelles d’une même communauté ne sont généralement pas stables. Elles peuvent varier selon l’état reproductif des femelles, par exemple si elles sont gestantes ou non ou accompagnées d’un jeune.
La suite de l’histoire de Delphi nous aidera à mieux comprendre la vie sociale et reproductive des bélugas. C’est en comprenant comment vivent les bélugas que nous serons en mesure de mieux les protéger.
Historique des observations dans l’estuaire
Années pendant lesquelles l’animal n’a pas été observé Années pendant lesquelles l’animal a été observé
Dernières nouvelles
À bord du Bleuvet, nous accueillons la chercheuse de Pêches et Océans Canada Véronique Lesage. Elle mène un projet de recherche sur les réactions comportementales et communicationnelles des bélugas en présence de bruit sous-marin. Nous choisissons aujourd’hui d’aller étudier les bélugas présents dans le Saguenay. Nous remontons la rivière jusqu’à L’Anse-Saint-Jean, où nous trouvons un troupeau d’environ 30 bélugas. Un peu plus de la moitié des individus sont gris, donc jeunes. Autour de notre bateau de recherche et des bélugas, nous comptons trois bateaux pneumatiques, trois kayaks et une planche à pagaie. Les embarcations sont à moins de 400 mètres des bélugas et ne respectent donc pas la distance règlementaire. Les bélugas changent de direction et se dirigent vers la baie Sainte-Marguerite. Nous les photographions dans leur déplacement et reconnaissons Delphi. Tandis que nous les suivons à distance, un jeune béluga s’approche de notre embarcation. Nous en profitons pour lui poser une balise sur le dos. Malheureusement, elle glisse au bout de deux minutes.
Une vingtaine de bélugas nagent non loin de la tour de la baie Sainte-Marguerite. Parmi eux se trouve Delphi. Des adultes et des jeunes nagent dans deux groupes qui se mélangent et se défont. Les animaux passent peu de temps en surface, mais lors de leurs remontées, plusieurs sortent la queue. Les animaux seraient-ils en alimentation? L’hydrophone calé dans la baie pourra peut-être nous en informer, grâce aux cris captés. À la fin du contact, nous parvenons à observer deux veaux.
Nous nous trouvons dans le fjord du Saguenay, près de la baie Sainte-Marguerite. Nous reconnaissons Delphi. Elle nage parmi un troupeau d’une trentaine d’individus, incluant des adultes et des jeunes, dont un nouveau-né. La baie Sainte-Marguerite semble être un site très particulier et d’une grande importance pour les bélugas du Saint-Laurent. Elle est située à une vingtaine de kilomètres de l’embouchure et fait partie du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent (PMSSL). La fonction de la baie pour les bélugas, en particulier pour les femelles et les jeunes, n’est pas encore bien comprise. L’endroit pourrait être un lieu d’alimentation, de repos ou de socialisation pour les jeunes. Il pourrait même être un lieu de mise bas pour des femelles, comme Delphi, mais cette hypothèse reste à être vérifiée.
Le parrain
Delphi et Leucas ont été confiés au très honorable Justin Trudeau et à l’honorable Philippe Couillard, respectivement premier ministre du Canada et premier ministre du Québec par Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, inquiet pour la survie des bélugas.
Messieurs nos premiers ministres, merci de prendre soin de Delphi et Leucas
Monsieur Trudeau, Monsieur Couillard, permettez-moi de vous présenter Delphi et Leucas. Il s‘agit de deux bélugas que je côtoie tous les étés dans le Saint-Laurent. Ils ont tous deux moins de 20 ans. Delphi est une femelle et devrait donner naissance à son premier veau bientôt. Leucas est un mâle et consacre son temps à tisser son réseau social. Ils appartiennent à une population « en voie de disparition » et ont besoin de votre aide immédiate. Si nous partageons bien le Saint-Laurent avec eux, ils pourraient vivre jusqu’en 2080!
Nos choix d’aujourd’hui façonnent le monde dans lequel ils vivront. C’est de ces choix dont j’aimerais vous parler. Mais avant, laissez-moi encore un peu vous parler de Delphi et Leucas.
Grâce à leurs marques distinctives, j’ai appris à reconnaitre un à un des centaines de bélugas. Au fil des rencontres, j’ai appris à les connaître. Au fil des années, ils m’ont raconté leur histoire, l’histoire du Saint-Laurent, et un peu notre histoire aussi.
Comme nous, les bélugas ont colonisé le Saint-Laurent. Poussés de l’Arctique par la dernière glaciation, ils ont trouvé refuge ici il y a 10 000 ans. Cartier écrivait en 1535 que moultes marsouins blancs vivaient dans cette grande rivière qu’on appelle le Saint-Laurent. Depuis, leur nombre n’a cessé de diminuer et le Fleuve aux Grandes Eaux a bien changé. Ces changements s’accélèrent et, avec eux, nos inquiétudes!
Jamais auparavant n’avons-nous eu autant conscience de ces changements. Jamais comme aujourd’hui n’avons-nous eu autant de science pour identifier, comprendre, atténuer et peut-être renverser ces changements.
Quand, dans les années 1930, les pêcheurs se plaignaient que les bélugas décimaient les saumons et les morues, nous les avons bombardés. Jusqu’en 1939, on versait des primes aux chasseurs. Cette course à l’extermination prit fin suite à une étude scientifique qui conclut que la morue et le saumon étaient rarement consommés par les bélugas.
Quelques centaines de bélugas ont survécu à cette exploitation pour se retrouver dans la période la plus toxique du Saint-Laurent, au cœur de l’ère industrielle. Suite à des décennies d’efforts pour améliorer la santé du Saint-Laurent, les contaminants bannis au début des années 1970 sont maintenant en régression dans les bélugas et les cancers qui tuaient un quart des bélugas adultes ont disparu.
Les bélugas ne sont pour autant pas sauvés des eaux. Leur population est de nouveau en déclin et la mortalité chez les femelles gestantes et les nouveau-nés est en hausse. Selon la Loi sur les espèces en péril, une population « en voie de disparition » est exposée à une disparition imminente si rien n’est fait pour contrer les facteurs menaçant de la faire disparaitre. Et maintenant, nous ne pouvons plus plaider l’ignorance.
Certaines des menaces auxquelles font face les bélugas sont difficilement réversibles. Le leg toxique, le réchauffement de l’eau et l’effondrement des stocks de poissons méritent tous notre attention, mais nous aurons besoin de plusieurs décennies pour corriger la situation. Les scientifiques qui étudient les bélugas depuis une trentaine d’années s’entendent : à court terme, nos efforts doivent être dirigés vers l’élimination des agents de stress d’origine anthropique comme les perturbations dans les zones sensibles.
Pour protéger efficacement la rainette faux-grillon, il n’a pas été nécessaire d’arrêter la construction domiciliaire au Québec, mais bien juste sur quelques hectares. Pour protéger les bélugas du Saint-Laurent, nul n’est besoin de mettre sous une cloche de verre l’ensemble de son habitat essentiel ou de fermer la voie maritime.
On connaît de mieux en mieux les habitudes et les besoins des bélugas. Nous savons que ce n’est pas une bonne idée de développer l’activité portuaire à Cacouna. La construction de nouveaux terminaux dans le Saguenay augmenterait aussi le trafic maritime dans une portion sensible de l’habitat essentiel des bélugas.
Il serait malheureux encore une fois d’opposer les bélugas au développement économique. Il serait surtout périlleux de le faire à la pièce, projet par projet. Comme le développement économique, la protection des bélugas a besoin d’une stratégie. Sinon, comme il arrive souvent, nos stratégies de développement économique gagneront de vitesse nos stratégies de rétablissement des espèces en péril.
La création d’un réseau de refuges acoustiques, sous la forme de zones de protection marine, d’aires marines protégées ou de sanctuaires dans lesquels nous éviterions d’accroître l’activité humaine pourrait protéger les bélugas. Elle nous permettrait aussi de mieux préparer l’avenir, en conjuguant nos aspirations pour un monde meilleur, pour les bélugas et pour nous. La protection des bélugas peut aussi être une fierté et un moteur pour le développement économique.
Au cours des dernières années, des millions de visiteurs sont venus à la rencontre des bélugas dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. De plus, des milliers de Québécois et Canadiens, des entreprises et municipalités ont « adopté » symboliquement des bélugas, montrant ainsi leur attachement et nous donnant leur appui pour mieux les comprendre et mieux les protéger.
Monsieur Trudeau, j’aimerais vous confier la garde de Leucas. À vous, Monsieur Couillard, je confie Delphi. Je m’engage à vous donner des nouvelles de vos protégés à chaque fois que je les rencontrerai. J’aimerais en échange que vous parveniez rapidement, ensemble, comme pour la création du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, à créer les refuges acoustiques dont Delphi, Leucas et leurs familles ont besoin.
J’espère que vous raconterez fièrement l’histoire de vos protégés à vos enfants et petits-enfants et qu’ils pourront encore, en 2080, s’émerveiller lorsqu’ils apercevront un troupeau de bélugas et y reconnaitront Delphi et Leucas.
Robert Michaud
directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM)