C’est en 1999 que ma vie allait changer. Je venais tout juste de terminer ma technique d’inventaire et recherche en biologie et d’être choisie afin de travailler pour le GREMM en tant qu’assistante de recherche. Mon rôle principal était de faire la photo-identification sur les bateaux de croisières et le bateau de recherche, pour recenser les individus des différentes espèces de grands rorquals qui viennent visiter l’estuaire du Saint-Laurent chaque année. Au cours de mes passages de 1999 à 2001, puis en 2014, 2016 et maintenant depuis les cinq derniers étés, j’ai été témoin de l’évolution du matériel utilisé sur le terrain au fil du temps. Je vais donc essayer de vous partager ces changements ainsi que l’éternel intérêt que j’ai pour ce travail.
Les défis de l’argentique
Au tout début, il y a 25 ans, nous avions des appareils photo argentiques avec des films négatifs et le focus se faisait de façon manuelle avec l’objectif. Il fallait donc développer nos réflexes pour arriver à prendre une baleine en mouvement! En trois photos, on devait avoir le chevron, le dos et le pédoncule les plus clairs possible afin de bien reconnaitre chaque animal et pouvoir certifier qu’il s’agissait du même individu à travers les années. On appelle ce processus l’appariement (matcher) des photos.
Une fois de retour au bureau, nous devions développer des négatifs, imprimer les photos sur papier avec le bon contraste du noir et blanc — oui, oui, les photos étaient en noir et blanc — les identifier, les classer et les apparier, ce qui demandait énormément de temps. Tout ce travail demandait beaucoup de rigueur et de minutie. Aujourd’hui, les appareils photo numériques font le focus automatiquement. Le classement et l’appariement des photos se font derrière un écran d’ordinateur.
Nouvelles technologies
L’évolution des ordinateurs a été une véritable révolution et a entraîné beaucoup de changements dans le traitement des données ainsi que leur utilisation. Au tout début on avait une montagne de photographies imprimées stockées dans d’énormes classeurs avec deux fichiers Excels contenant toutes les données.
Maintenant, les photos sont digitales et accessibles en quelques clics sur des disques durs et les informations sont réparties dans plus d’une dizaine de bases de données reliées entre elles. Cette architecture de base de données relationnelle a été développée à l’interne pour optimiser le traitement des photos et des données récoltées chaque année. Son interface permet d’y visualiser directement les photographies selon le contexte souhaité avec toutes les informations qui peuvent y être associées. Toutes ces données alimentent le catalogue central et s’y retrouvent pour décrire l’histoire de chaque individu. L’efficacité du traitement des données de terrain et de la gestion du catalogue central de photos a été grandement améliorée grâce à ses nouveaux outils.
Sur le terrain, en parallèle des photographies, on prend en note des informations comme la couverture nuageuse, le vent, la hauteur des vagues, la visibilité, le nombre de bateaux, le nombre de baleines, ainsi que les informations relatives aux photographies et bien d’autres. Pendant mes premières années, on utilisait des dictaphones à cassette pour enregistrer ces données puis par la suite des dictaphones numériques. Au retour du terrain, il fallait écouter ces fichiers pour saisir toutes les informations dans un fichier Excel, ce qui représentait beaucoup de travail au bureau!
Cette année, nous avons à nouveau profité des progrès du numérique en utilisant des formulaires en ligne via l’application Kizeo. On peut maintenant saisir directement les données sur le terrain sur un Ipad et elles sont transférés automatiquement dans un fichier Excel dans le format souhaité. Fini les longues heures de bureau à s’écouter parler dans le dictaphone!
Parmi les tâches du quotidien, nous devons recadrer toutes les photos pour conserver seulement l’animal. Un nouvel outil basé sur l’intelligence artificielle (IA), en cours de développement vise à réaliser cette tâche automatiquement. L’IA serait capable de sélectionner l’animal sur la photo et nous n’aurions qu’à vérifier qu’il n’y a pas d’erreur. Les premiers tests effectués cet été sont très encouragant. Une autre économie de temps!
Depuis 4 ans, une nouveauté majeure s’est glissée dans mon travail : l’utilisation des drones sur le bateau de recherche. Cet outil qui nous fait voir les baleines sous un autre angle, permet de récolter une mine d’information mais vient également avec son lot de défis. Les décollages et les atterrissages se font à partir des mains du photographe afin de s’éloigner le plus rapidement possible du bateau. Pendant ces manœuvres les pilotes doivent compenser l’effet du vent, des vagues et du courant qui influencent grandement les mouvements de notre petite embarcation. Grâce au drone, on peut survoler les animaux et capturer des images aériennes montrant les patrons de coloration des deux flancs en même temps.
On utilise ces images pour faire de la photo-identification, de la détection de marques d’interaction humaines et de la photogrammétrie. Peut-être qu’un jour, seule l’utilisation du drone suffira pour faire le suivi des espèces de grands rorquals qui fréquentent notre secteur?
À l’ère des réseaux sociaux, l’équipe a créé un groupe Facebook destiné aux gens qui travaillent sur l’eau afin de nous aider à trouver et identifier des animaux. Ma participation à ce groupe, c’est de répondre aux questions d’identification et de faire un album par espèce de baleines : les rorquals bleus, les rorquals communs et les rorquals à bosses. Les gens de la mer peuvent s’y référer pour les identifier sur le terrain. Un des aspects positifs est que la création du groupe a permis de renforcer les liens, l’esprit de partage et de collaboration avec les gens sur l’eau!
Ce qui n’a pas changé de ma passion en 25 ans
Ce que j’aime de mon travail, c’est revoir les animaux que l’on connait et voir qu’ils vont bien. Il est toujours passionnant d’être sur l’eau et de respirer l’air pur du fleuve et regarder l’immensité de ses paysages! Lorsque je suis sur les bateaux de croisières, il arrive parfois que les baleines se font rares. Dans cette situation, c’est toujours le fun de pouvoir montrer aux passagers d’autres animaux qu’on oublie parfois, comme les phoques, les oiseaux ou encore les marsouins. Les passagers sont toujours émerveillés de voir cette beauté.
Pour finir, ce que j’aime beaucoup dans mon travail, c’est le travail d’équipe sur le bateau de recherche que l’on doit avoir pour réussir à capter de superbes images. On doit avoir une bonne communication pour coordonner le travail, par exemple, les manipulations du drone, le positionnement du bateau avec le vent et courant pour prendre de belles photos horizontales, etc.
Il faut un bon esprit d’équipe pour réussir à ramener toutes ces données et être le plus efficace possible. Sur les bateaux de croisières, c’est de côtoyer des gens passionnés de la mer, de baleines et pouvoir partager des moments incroyables avec eux qui resteront toujours pour moi des instants inoubliables. Depuis toutes ces années, la joie de créer des liens d’amitié avec ces gens, ça ne changera jamais!