Près de 800 grands dauphins sont morts depuis juillet sur la côte Est américaine, 10 fois plus que la moyenne pour ce secteur. Cette épizootie serait causée par un morbillivirus et peut-être d’autres facteurs aggravants. Elle pourrait toucher d’autres espèces; des cas de rorquals à bosse et de cachalots pygmées sont sous analyse. D’autres espèces de dauphins et de phoques semblent épargnées pour le moment. L’épizootie pourrait-elle atteindre les mammifères marins du Saint-Laurent?

Hécatombe aux États-Unis

Près de 800 grands dauphins sont morts depuis juillet sur la côte Est américaine, 10 fois plus que la moyenne pour ce secteur allant de l’état de New York jusqu’à la Caroline du Sud. L’organisation fédérale américaine NOAA (National Oceanographic and Atmospheric Administration) a déclaré un « Unusual Mortality Event » et suit la situation, appuyée par de nombreux experts.

Le responsable de cette épizootie (une épidémie touchant des animaux) serait un virus de type rougeole, le morbillivirus, qui avait aussi tué des centaines de dauphins il y a 25 ans dans cette région du monde. La moitié de la population migratrice côtière avait alors été affectée. Le présent incident est d’une plus grande ampleur encore. D’autres facteurs aggravants sont considérés, et des analyses sont en cours pour préciser le tableau; on envisage entre autres le rôle d’autres pathogènes, d’algues toxiques et des changements de distribution chez les dauphins.

L’épisode, qui a débuté en juillet, ne semble pas terminé; l’épizootie de 1987-1988 avait pris fin au mois de mars et il pourrait donc rester encore plusieurs mois de mortalités élevées chez ces dauphins. De plus, d’autres espèces pourraient être touchées: les scientifiques analysent en ce moment quelques cas suspects de rorquals à bosse et de cachalots pygmées; une première investigation a révélé la présence du virus, mais on cherche à savoir s’il a pu contribuer à la mort de ces individus. D’autres espèces ont été analysées, comme le dauphin commun, le dauphin tacheté de l’Atlantique et le phoque du Groenland, mais aucune trace du virus n’a été décelée. Pour l’instant, les taux de mortalités des autres espèces de mammifères marins sur la côte Est américaine sont «élevés», mais il est trop tôt pour les considérer inhabituels.

Les risques pour le Saint-Laurent

Le Saint-Laurent est ouvert sur l’Atlantique et toutes ses populations de mammifères marins, sauf celle du béluga, sont migratrices: une partie de leur cycle de vie se déroule donc dans l’Atlantique. C’est dire qu’il y a un risque que l’épizootie qui touche les dauphins de la côte Est atteigne éventuellement les mammifères marins du Saint-Laurent.

Ce risque est particulièrement préoccupant pour le béluga: une épizootie pourrait être catastrophique pour l’avenir de cette petite population, dont la diversité génétique est faible et qui semble susceptible aux maladies, peut-être en raison d’un système immunitaire affaibli. En 2000, une étude a démontré que les bélugas du Saint-Laurent n’avaient pas d’anticorps contre le morbillivirus ayant causé l’épizootie chez les dauphins de la côte Est en 1987-1988. Ce pourrait être une bonne nouvelle, une indication qu’ils ne sont pas susceptibles à ce type d’infection. Mais cela pourrait également indiquer que les bélugas n’ont jamais été exposés au morbillivirus, ce qui les rendrait très vulnérables s’ils y étaient finalement exposés.

Que peut-on faire?

Impossible d’intervenir pour prévenir ou ralentir l’épizootie, ou alors guérir les animaux atteints par le virus : il n’existe pas de vaccin ou de médicament antiviral qu’on puisse administrer de façon efficace à une population de cétacés sauvages. Suivre, documenter, tenter de comprendre sont les seules actions possibles face à une telle épizootie. C’est l’approche retenue par NOAA, qui a rapidement déclaré un « Unusual Mortality Event », ce qui prévoit un large processus d’investigation et la mise en place d’une équipe scientifique indépendante. Les analyses visent à comprendre la situation, ce qui inclut, entre autres, d’identifier quelles populations de dauphins sont touchées, afin de mesurer les impacts sur chacune et d’en tenir compte dans l’ensemble des actions visant leur protection.

La sensibilisation du public est aussi une action importante : une information complète et détaillée est régulièrement mise à jour sur le site de NOAA, et des consignes sont largement diffusées pour que les gens sachent quoi faire et ne pas faire en présence d’un dauphin malade ou mort. Les gens sont invités à rester à distance, à tenir leurs animaux domestiques à distance aussi, à ne pas toucher le dauphin (encore moins le remettre à l’eau) et à contacter les autorités locales via les numéros régionaux prévus à cet effet.

Au Canada, les mammifères marins sont la responsabilité de Pêches et Océans Canada. L’épizootie de la côte Est est inquiétante pour les mammifères marins de l’Atlantique et du Saint-Laurent, en particulier le béluga, et c’est pourquoi Pêches et Océans Canada suit la situation de près et participe même à certaines discussions avec les experts qui gèrent la crise américaine. Pêches et Océans Canada travaille en étroite collaboration avec les centres régionaux pour l’Atlantique et le Québec du Centre canadien coopératif sur la santé de la faune (CCCSF), qui font un suivi des mortalités chez les animaux sauvages et offrent une expertise vétérinaire.

Au Québec, le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) permet d’assurer une veille et de détecter d’éventuelles mortalités inhabituelles. Le RQUMM est composé de 15 partenaires privés et gouvernementaux avec une expertise sur les mammifères marins, y compris Pêches et Océans Canada et le Centre québécois sur la santé des animaux sauvages (CQSAS), le volet québécois du CCCSF. Le public signale les cas de mammifères marins morts ou en difficulté via un numéro central, le 1-877-722-5346 : chaque année, au Québec, une centaine de mammifères marins morts sont retrouvés sur les berges du Saint-Laurent ou à la dérive. En 2008, par exemple, le système avait permis de détecter et de documenter un épisode de mortalités inhabituelles de mammifères marins, d’oiseaux et autre faune marine en lien avec une floraison d’algues toxiques. En 2012, un nombre élevé de mortalités de bélugas nouveaux-nés avait été détecté, déclenchant une investigation d’urgence sur l’état de la population.

Les expertises et mandats des différents membres du RQUMM se complètent. Lors de périodes de crise, le réseautage permet une action concertée et efficace, avec une approche semblable à celle utilisée par NOAA pour la présente épizootie de morbillivirus: signalement des cas, compilation en temps réel, récupération et analyses des carcasses, etc. Lors d’épisodes de grande ampleur, comme en 2008 avec les algues toxiques ou en 2012 avec les mortalités inhabituelles de bélugas nouveaux-nés, des fonds d’urgence de Pêches et Océans Canada aident à déployer une réponse adéquate.

Le morbillivirus, qui est-il?

Il existe plusieurs sortes de morbillivirus. Ils sont de la famille des paramyxoviridae. La rougeole chez l’humain, la maladie de Carré chez le chien et la peste bovine, par exemple, sont dues à des morbillivirus. Chez les mammifères marins, plusieurs morbillivirus ont été identifiés, certains touchant les phoques, d’autres, les cétacés. Celui de la présente épidémie se nomme DVM (dolphin morbillivirus) et est susceptible d’affecter plusieurs espèces de mammifères marins.

Les morbillivirus se transmettent par la voie des airs ou par contact direct. Le DVM atteint les poumons, le cerveau et le système immunitaire des dauphins; il cause des symptômes sévères et expose l’animal à des infections secondaires. Le DVM ne tue pas nécessairement tous les animaux atteints, mais une grande proportion succombe à l’infection ou aux infections secondaires.

Il n’existe aucun cas de transmission du DVM à l’humain. Par précaution, NOAA recommande tout de même de ne pas entrer en contact avec un dauphin mort ou malade, ne serait-ce que pour éviter la transmission d’autres pathogènes. Même chose pour les animaux domestiques, qui doivent toujours être tenus à distance des mammifères marins, à plus forte raison si ceux-ci sont malades ou morts.

Pour en savoir plus :

Actualité - 22/11/2013

Christine Gilliet

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