Au large de Boston, une vaste étude révèle que ces mégaptères ont adopté le lobtail – frapper la surface avec la queue – une nouvelle façon de chasser qui semble particulièrement s’adapter à la capture des lançons. Pour les scientifiques qui ont analysé les 27 années d’observation, il s’agit bien d’une transmission culturelle, de génération en génération.

Dans le golfe du Maine comme ailleurs dans le monde, les rorquals à bosse (Megaptera novaeangliae) utilisent la manœuvre bien connue du filet à bulles pour capturer leurs proies, essentiellement du hareng. À une vingtaine de mètres sous la surface, ces rorquals produisent des bulles d’air en soufflant par leurs évents par-dessous et autour d’un banc de poissons pour les piéger. Puis, ils s’introduisent à l’intérieur du filet et remontent vers la surface en ouvrant grand leurs mâchoires pour les engouffrer.

Mais en 1980, un rorqual à bosse de cette région a été observé alors qu’il chassait avec une technique innovante, qui consiste à frapper la surface avec la face ventrale de sa queue (lobtail feeding en anglais), de manière répétée, d’une à quatre fois; elle est suivie par une séquence de capture avec un filet de bulles.

S’adapter à la nourriture disponible

Dans l’étude publiée le 26 avril 2013 dans Science, une équipe de scientifiques dirigée par Jenny Allen de la St. Andrews University en Nouvelle-Angleterre, livre ses résultats et analyses de l’observation de cette nouvelle technique de chasse adoptée par les rorquals à bosse de cette région de la côte est des États-Unis. Ils mettent en évidence que la transmission de ce comportement s’est réalisée par leur réseau social et que les individus apprennent en s’observant les uns les autres.

Les données ont été collectées par des observateurs embarqués à bord de bateaux d’excursion pour l’observation des baleines pendant 27 ans (de 1980 à 2007), dans le cadre d’un programme du Whale Center of New England. Parmi les 73 790 observations, 653 individus ont été vus 20 fois ou plus à l’intérieur ou près du sanctuaire de Stellwagen Bank situé au large de Boston. Pour traiter leurs données, les chercheurs ont utilisé la méthode dite d’analyse de diffusion en réseau (network-based diffusion analysis, NBDA). Ce modèle statistique intègre des facteurs environnementaux, génétiques et sociaux pour caractériser la propagation d’un comportement au sein d’une espèce.

Chez cette population, le taux de diffusion de ce comportement a fortement augmenté entre 1981 et 1989, et à la fin de la période étudiée 37 % des individus observés ont adopté le lobtail, ce qui atteste que le comportement s’est transmis de génération en génération. Ce comportement a émergé à une période pendant laquelle les stocks de harengs, la principale nourriture des rorquals à bosse, ont chuté de manière drastique, et à un pic pour ceux des lançons, une espèce qui fraie et se concentre dans le sanctuaire. Il a de nouveau fortement augmenté pendant une période de pic pour les lançons entre 1987 et 1989. Ainsi, le lobtail semble être une technique spécialisée pour capturer le lançon.

Plus de connexions, plus d’apprentissage

Selon le modèle statistique d’analyse, 87 % ou 45 % des rorquals ont acquis ce comportement par transmission sociale (la deuxième estimation étant considérée comme très prudente). La plupart des adeptes du lobtail sont les individus qui ont été observés les plus souvent en association ou en groupe pendant la chasse, les solitaires ayant plutôt tendance à ne pas frapper la surface de l’eau avec leur queue.

Selon les auteurs de l’étude, cet apprentissage social d’un nouveau comportement peut-être considéré comme une tradition. Comme les rorquals à bosse sont déjà connus pour se transmettre des chants, il faut envisager qu’ils soient porteurs de traditions multiples qui les rendent capables d’adaptations dynamiques à leur environnement. Avec cette transmission culturelle, les cétacés représentent donc un sommet dans l’évolution culturelle non humaine.

Ils rappellent que l’étude de mammifères marins dans leur milieu naturel est très difficile et que seule une poignée d’espèces parmi les cétacés témoigne de comportements qui soulèvent les questions de la transmission culturelle. Ils conviennent que les controverses sur l’existence d’une culture chez les animaux vont encore continuer à alimenter le débat.

Sources: Science, National Geographic, Futura Sciences, blogue de Sybilline.

Actualité - 9/5/2013

Christine Gilliet

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